Trente ans après la Convention des Nations unies contre la torture, les sévices corporels sont malheureusement «en plein essor». Une enquête mondiale auprès de 21 000 personnes dans 21 pays a révélé une crainte très répandue de la torture l 44% des sondés affirment craindre d'être torturés dans le cas où ils seraient placés en garde à vue. Amnesty International (AI) a alerté, dans un rapport qu'elle a rendu public hier, l'opinion sur l'utilisation de la torture, qui continue de s'étendre dans le monde, malgré la signature de la Convention des Nations unies contre la torture en 1984. Cette convention oblige pourtant les Etats l'ayant ratifiée à prendre des mesures concrètes pour l'éradiquer. Mais les statistiques sont très difficiles à établir, les actes de torture ne se commettant pas par définition au grand jour. Violences lors de l'arrestation, conditions de détention inhumaines, cruauté des geôliers, humiliations, procédures judiciaires non respectées, droits des prisonniers bafoués... L'ONG, basée à Londres, dénonce ainsi avec véhémence les gouvernements qui «consacrent souvent plus d'énergie à nier ou à dissimuler l'existence de la torture qu'à mener des enquêtes efficaces et transparentes sur les accusations de tels actes». Pour faire cesser la torture, l'organisation non gouvernementale de défense des droits de l'homme a lancé hier une nouvelle campagne de deux ans baptisée : «Arrêtons la torture». Et l'action est inscrite sous le sceau de l'urgence. Car si l'on ne sait effectivement pas combien d'êtres humains sont torturés dans le monde, il reste que nous avons quand même une petite idée sur l'étendue du phénomène. Il faut savoir que l'International Rehabilitation Council for Torture Victims (IRCT) vient chaque année en aide à plus de 100 000 victimes de la torture dans le monde. Ce n'est pas tout. La torture, une pratique «normalisée» Sur les cinq dernières années, AI affirme avoir enregistré des incidents impliquant des actes de torture dans 141 pays, dont 79 des 155 Etats qui ont ratifié la Convention des Nations unies. Il y a vraiment de quoi désespérer au XXIe siècle qui est censé sacraliser les droits de l'homme. La torture «a été presque normalisée, c'est devenu une routine», a regretté à ce propos le secrétaire général d'Amnesty, Salil Shetty, au cours de la conférence de presse de lancement de la campagne «Arrêtons la torture». «Depuis la soi-disant guerre contre le terrorisme, l'usage de la torture particulièrement aux Etats-Unis et dans leurs sphères d'influence (...) a été complètement normalisé», a-t-il ajouté, expliquant ce phénomène par «les attentes en terme de sécurité nationale». Amnesty International se concentre, avec cette nouvelle campagne, sur cinq pays dans lesquels l'ONG estime que cette pratique a le plus d'impact : le Mexique, les Philippines, le Maroc et le Sahara occidental, le Nigeria et l'Ouzbékistan. L'ONG affirme néanmoins que la torture «fait partie de la vie» dans l'ensemble de l'Asie et qu'elle est également pratiquée «à une échelle industrielle» en Syrie depuis le déclenchement de la guerre civile. Salil Shetty a également évoqué «la cruauté à l'égard des prisonniers aux Etats-Unis qui sont placés en isolement, sans lumière», l'usage de la lapidation et de la flagellation au Moyen-Orient, et «l'échec persistant» des pays européens à enquêter sur les allégations de complicité de torture. Une justice défaillante En Afrique, souligne l'ONG britannique, la question de la torture n'a pas été traitée correctement par les législations locales. Concernant particulièrement le Maroc, Amnesty International a exhorté Rabat de «mettre fin à l'impunité quasi totale» des auteurs d'actes de torture dans le royaume. AI rappelle que dans ce pays, la torture et les mauvais traitements «sont expressément interdits» dans le droit national «mais restent une réalité dans la pratique», déplorant que leurs auteurs jouissent «d'une impunité quasi totale». D'après l'ONG, les «défaillances du système judiciaire» marocain sont principalement responsables de ce «climat d'impunité». Amnesty a ainsi cité «l'absence d'avocats pendant les interrogatoires de police» ou encore les «aveux obtenus sous la torture et qui sont toujours une pièce maîtresse dans les condamnations», prenant l'exemple d'Ali Aarrass, un Belgo-Marocain condamné à 12 ans de prison pour «terrorisme» mais qui clame son innocence. «Les autorités doivent veiller à ce que tous les cas (présumés) fassent l'objet (...) d'enquêtes impartiales et indépendantes», a notamment recommandé Amnesty, selon qui «les projets actuels de refonte de l'appareil judiciaire constituent une occasion sans précédent de faire bouger les choses». Pour Loretta Ann P. Rosales, qui a elle-même été torturée par le régime de Marcos aux Philippines en 1976 et préside désormais une institution de défense des droits de l'homme dans le pays, la torture persiste parce que «la nécessité d'une sécurité d'Etat» prévaut sur «la sécurité des individus». Amnesty appelle les gouvernements à prévenir la torture en fournissant un accès médical et juridique aux prisonniers ainsi que de meilleures conditions d'inspection des centres de détention. L'ONG appelle également à la multiplication des enquêtes indépendantes, en cas de soupçons de torture, afin de mettre fin à l'impunité. «Les gouvernements n'ont pas tenu leurs promesses, et à cause de ces promesses non tenues, des millions de personnes ont terriblement souffert», a conclu Salil Shetty.