Le cinéaste Mohamed Malas a présenté, au Caire, son nouveau long métrage, Echelle à Damas. Le Caire (Egypte) De notre correspondant Un film qui rend hommage à une jeunesse rêveuse et frondeuse. Rencontre. Mohamed Malas n'est pas en quête d'une terre d'adoption. Le célèbre cinéaste ne quittera pas la Syrie. Malgré la censure systématique dont une grande partie de ses films a fait l'objet et malgré la guerre qui fait rage depuis plus de trois ans. De passage au Caire à l'occasion de la présentation de son nouveau film Echelle à Damas, il retrouve d'anciennes connaissances, des amis venus le saluer sur le bout de terrasse improvisée devant l'entrée du cinéma. Des figures du cinéma arabe comme l'actrice syrienne Kinda Allouche, se pressent autour de Mohamed Malas, affublé de son éternelle barbe poivre et sel. Ce soir-là, au milieu des joueurs de dominos et des fumeurs de chichas, la capitale égyptienne renoue avec son aura culturelle d'antan. Tous sont là pour assister à la projection du dernier opus d'une longue trilogie commencée en 1983 avec Les Rêves de la ville (Ahlam al Medina), suivi en 1992 de Nuit (Leil). A l'instar des précédents films de Mohamed Malas, Echelle à Damas a été réalisé dans la douleur et l'incertitude. Réalisé en dehors des circuits étatiques, dont les boîtes de production représentent l'unique issue pour un réalisateur syrien, le film voit le jour après plusieurs années de tournage. «J'ai accueilli ce soulèvement avec enthousiasme» Rompu aux difficultés que rencontre tout artiste indépendant en Syrie, Mohamed Malas veut aller jusqu'au bout. Certes, son film ne sera probablement jamais projeté dans une salle de cinéma syrienne. Mais l'artiste sexagénaire ne se bat pas. Résigné. Selon lui, le régime n'a pas besoin d'interdire verbalement un film pour qu'il soit exclu des salles de cinéma. «Nous vivons dans ce pays depuis longtemps. Les difficultés, nous les rencontrons dans le cinéma et dans bien d'autres domaines, confie-t-il entre deux bouffées de cigarette. Cela fait des années que ce pouvoir règne en maître sur le pays. Rien ne lui échappe. Il contrôle tout, les institutions comme les créations artistiques.» Cette censure, il en est convaincu, a eu une influence sur son œuvre, son écriture, sa manière de concevoir le cinéma. «Nous avons appris à jouer avec les mots pour contourner la censure», soutient l'artiste. Son dernier film est intimement lié à l'histoire, à l'actualité syrienne de ces trois dernières années. Mohamed Malas commence l'écriture du scénario en 2010, bien avant le soulèvement populaire de mars 2011 à Deraa. Une large partie du film est tournée dans une grande maison, à cour intérieure et aux pierres bigarrées, dont la Syrie regorge. Des jeunes y cohabitent, partagent leurs passions, tombent amoureux, à l'instar de Ghalia, l'étudiante en art dramatique, et Fouad, le futur cinéaste. «événements de Syrie» A l'euphorie des premiers mois succèdent rapidement la colère et la tristesse. Mohamed Malas a l'impression que le soulèvement échappe à ceux qui l'ont organisé et conduit. Tout s'arrête. Il ne peut pas tourner dans ces conditions. L'artiste insiste : il ne souhaite pas transformer son œuvre en documentaire sur les manifestations. La guerre doit rester en arrière-plan. Il suffit ainsi que l'une des actrices éteigne la lumière pour faire taire les salves de mitraillettes qui résonnent dans la rue. Originaire de la ville de Quneitra, juchée sur les plateaux du Golan, au sud-ouest de la Syrie, Mohamed Malas a déjà vécu sous le feu de la guerre. Après le conflit israélo-arabe de 1967, sa terre natale avait été complètement détruite. Des ruines qui hanteront solidement son œuvre cinématographique En mars dernier, alors qu'il s'apprêtait à se rendre à l'étranger pour un festival, Mohamed Malas a été interpellé par les hommes de la sécurité nationale. «Ils ne m'ont pas arrêté. Ils m'ont interdit de voyager», rectifie-t-il. Là encore, comme dans ses films, le cinéaste joue avec les lignes rouges tracées par le régime. Il clôt la conversation : «La seule chose que je puisse dire, c'est que toutes les questions ne portaient ni sur la culture ni sur le cinéma.» Après trois années de guerre sanglante, qui ont coûté la vie à plus de 150 000 civils et obligés 9 millions de Syriens à fuir leur pays, le cinéaste enterre la révolution. «Elle n'existe plus. Les Syriens en ont été dépossédés le jour où des pays étrangers sont intervenus pour défendre leurs intérêts.»