Affaire Calas, affaire Dreyfus, guerre d'Espagne, guerre d'Algérie... De Voltaire à Zola ou à Victor Hugo, de Victor Hugo à Malraux et à Sartre, il fut un temps où les intellectuels français payaient de leur personne, prenaient des risques et dénonçaient les atteintes aux droits des hommes et des peuples. Ce temps-là est révolu. Beaucoup d'intellectuels, comme le dénonçait déjà Paul Nizan, sont devenus les «chiens de garde» d'un système mortifère et, comme le démontre Pascal Boniface, des «faussaires experts en mensonges» qui font la loi dans les médias. Universitaire, spécialiste de géopolitique, l'auteur des Intellectuels faussaires eut le plus grand mal à trouver un éditeur : par crainte de choquer ou de perdre leurs auteurs, 14 refusèrent son manuscrit(1). Il est très dur en effet, mais ses attaques contre les turpitudes des intellectuels et les partis pris des médias, qui les soutiennent, sont toujours fondées. L'ambition des intellectuels, souligne-t-il, n'est pas de dénoncer de scandaleuses injustices ni de soutenir les revendications de peuples en lutte pour leur liberté, mais d'être célébrés par les médias, réinvités dans des émissions, flattés dans les compte rendus de leurs ouvrages. Cela exige qu'ils montrent patte blanche. Qu'ils n'abordent pas certaines questions, ou les abordent dans une certaine perspective. En clair : qu'ils s'alignent sur les positions d'Israël, passent sous silence les revendications des Palestiniens et entretiennent, d'une façon ou d'une autre, la peur, sinon la haine, des Arabes. Scandalisé par le silence du Parti socialiste, dont il était membre en 2003. Pascal Boniface, dans une note interne, mit en avant «la contradiction entre les principes de la gauche et le soutien à l'occupation de territoires et à la répression d'un peuple». Il fut «immédiatement accusé d'antisémitisme». Le PS n'avait qu'un souci, trouver des voix qui soutiendraient la politique d'Israël(2). On en trouva. Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Charlie Hebdo, André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy (BHL), qui occupent très souvent le devant de la scène, défendent systématiquement Israël et font l'impasse sur les Palestiniens et les pays arabes. Ils s'apitoient sur les massacres du Darfour, mais ne protestent pas contre les exécutions massives de musulmans en République centrafricaine. Ou bien ils inventent des concepts parfaitement creux, mais qui, en réveillant des peurs enfouies, portent. Tel «l'islamo-fascisme» ou «l'islamo-gauchisme», interchangeables. S'ils ne dénoncent jamais «le christiano-gauchisme», alors qu'il existe des chrétiens d'extrême-gauche, s'ils ne mentionnent jamais le «judéo-fascisme», alors que les juifs d'extrême-droite ne sont pas rares — certains siègent même dans le gouvernement israélien —, les maîtres-penseurs d'aujourd'hui se gargarisent, depuis quelques années, d'«islamo-gauchisme». Alain Finkielkraut reproche aux militants de cette tendance, jeunes immigrés et chrétiens progressistes, d'être indifférents à la shoah, et BHL explique dans son livre La pureté dangereuse, que «l'islamisme n'est que la troisième modalité d'un dispositif dont le communisme et le nazisme avaient été les précédentes versions». Evoquant la guerre israélienne contre le Liban, il la compare à la guerre d'Espagne et fait «jouer à Israël le rôle des républicains espagnols». D'une façon plus générale, les intellectuels médiatiques constituent, sous la direction de B-H. Lévy, une sorte de commando chargé de discréditer l'Islam, d'attiser chez les Européens la peur des musulmans et la haine des Arabes. Sans le moindre fondement, évidemment et toujours avec démesure. Tel ce propos d'André Glucksmann dans L'Express du 17 novembre 1994 : «Le voile est une opération terroriste. En France, les lycéennes zélées savent que leur foulard est voile de sang.» Avec pareilles sottises en tête et pareille haine au cœur, comment ces intellectuels dénonceraient-ils le racisme anti-arabe et l'islamophobie si violents en France actuellement ? Toujours prêts à s'indigner de la condition des femmes dans les pays arabes, ils ne s'émeuvent pas que toutes les 7 minutes, en France, une femme soit violée, ni que chaque année 400 000 soient battues. De tous ces «chiens de garde» se détachent quelques figures, dont Pascal Boniface montre, citations à l'appui, à quelles bassesses ils se livrent. Telle la «serial-menteuse» Caroline Fourest, qui fait dire aux intellectuels qu'elle exècre ce qu'ils n'ont jamais dit — citations tronquées, hors contexte, de Tarik Ramadan — tel B.H. Lévy qui cite des auteurs qui n'existent pas, comme ce Jean-Baptiste Botul inventé par un journaliste du Canard enchaîné, déprogramme des émissions, obtient d'une rédaction qu'une journaliste qui a éreinté l'un de ses livres soit interdite de critique littéraire, et somme la revue Entrevue de ne pas publier un reportage sur les conditions de travail des ouvriers dans une entreprise spécialisée dans le commerce du bois en Côte d'Ivoire, buvant une eau polluée, presque tous les ouvriers sont malades, n'ont pas les moyens de se soigner et sont «considérés comme des semi-esclaves»(3). Cette entreprise, la Becob, appartient à B.H. Lévy.