Ibn Juzay s'est lancé sur les planches de Béjaïa, mercredi dernier, pour partager avec le public son rêve de la veille. Ibn Battûta, l'explorateur et voyageur arabe du XIVe siècle est venu à sa rencontre dans l'image d'un fantôme, le chargeant de la lourde tâche de narrer son histoire. Ibn Juzay, un écrivain qui a compilé dans un livre les récits de l'explorateur, s'y met avec sa troupe de théâtre, nous invitant à un voyage à travers l'histoire. S'emboîtent alors les péripéties du XIVe siècle dans la temporalité de notre monde pour produire une mise en abîme à au moins trois niveaux. Un récit dans un récit. L'ensemble a donné Ibn Battûta, une pièce toute fraîche jouée par des comédiens du TRB, alternant divertissement et pédagogie. Mise en scène et dramaturgie de Elsa Hamnane, la générale a été présentée, dans la soirée de mercredi dernier, avec le soutien du Théâtre régional Abdelmalek Bouguermouh de Béjaïa et de la Compagnie Athéna Théâtre. Huit comédiens se partagent la scène, Adja, Juzay, Mariamah, Sheilek, Hed, La Boule, et Haïcha, tantôt extravagants, tantôt réfléchis, parfois masqués, mais dans tout les cas saupoudrés de danse, de chorégraphie, de chant et du double discours romano-épique. En noir et rouge, les costumes ni d'époque ni modernes, ajoutent au brouillage de la temporalité amorcée avec le mélange des langues. Comédie épique et romanesque, la pièce est une parodie par son côté divertissant qui traduit une libre interprétation de voir le XIVe siècle. Cette liberté d'imagination et de vision s'appuie sur les zones d'ombre de l'histoire du voyage d'Ibn Battûta, qui a parcouru quelque 30 000 km en 29 ans, du Maghreb jusqu'en Chine. Le court passage du pèlerin en Algérie est reproduit avant d'aboutir avec son voyage vers l'Inde de Mohamed ben-Tughlûq. C'est à ce niveau que la pièce devient tragique : Juzay tire sur Mariamah, avant que l'on ne mette en scène le naufrage du Calicut, où Ibn Battûta fut parmi le peu de survivants. L'histoire réelle se termine à ce moment, après avoir été quelque peu creusée, au risque de dérouter davantage le public, avec sur un écran l'image d'une comédienne en train de se démaquiller devant une glace. Cette scène est inspirée de la fin de l'adaptation au cinéma des Liaisons dangereuses. «La forme doit être très fluide et c'est elle qui permettra la compréhension», explique Elsa Hamnane. Pour elle, Ibn Battûta est une pièce qui pose plus de questions qu'elle ne délivre de messages.