L'option prise pour la valorisation des hydrocarbures non conventionnels en Algérie est d'abord justifiée par les limites atteintes par l'économie rentière actuelle. La récente décision des pouvoirs publics de favoriser désormais l'exploitation du gaz de schiste découle-t-elle d'un choix pertinent, visant à pallier au déclin des hydrocarbures conventionnels, ou constitue-t-elle, au contraire, une option économiquement aventureuse et écologiquement risquée ? Invités hier au forum du quotidien Liberté à Alger, Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach, et Amor Khelif, professeur d'économie, sont allés chacun de ses arguments pour expliquer le bien-fondé des énergies non conventionnelles, pour l'un, et fustiger, pour l'autre, le caractère malvenu de cette nouvelle orientation de politique énergétique. Ainsi, pour l'ancien PDG de Sonatrach, le véritable problème est ailleurs que dans la valorisation du gaz de schiste. «Il faut d'abord se poser la question de savoir pourquoi on en parle maintenant», a-t-il lancé, avant d'esquisser un état des lieux peu rassurant sur l'économie nationale et le secteur énergétique, dont elle est étroitement dépendante. Les hydrocarbures, a-t-il rappelé en ce sens, représentent 70% du budget de l'Etat et plus de 30% du produit intérieur brut (PIB), alors que «nous avons déjà consommé, alerte-t-il, plus de 50% de nos réserves de gaz et de pétrole». «Aussi, a-t-il souligné, sur la base des réserves prouvées et récupérables, la rente actuelle sera nulle dès 2030», alors que la consommation domestique «ne cesse d'augmenter» et le programme prévu pour le développement des énergies renouvelables ne table que sur la satisfaction de 40% des besoins internes à l'horizon 2030, ce qui est, a-t-il estimé, «déjà difficile à atteindre et en tout cas insuffisant». Que faire donc pour combler ses immenses besoins, sinon aller dans l'option des hdyrocrabures non conventionnels, plaide en définitive Abdelmadjid Attar, pour qui le gaz de schiste, s'il est effectivement exploité en Algérie, «ne pourra l'être en aucun cas avant 2030 et ne viendra qu'en appoint aux autres sources d'énergie». Et d'assurer en ce sens que du point de vue environnemental, la roche mère qui contient le gaz se trouve à 2500 m de profondeur, ce qui fait que les périmètres arrêtés pour l'exploration du gaz de schiste ne seront en aucun cas en contact avec la nappe de l'Albien. En somme, conclut l'ancien ministre des Ressources en eau, «l'Algérie a tout à gagner en optant pour la valorisation des hdyrocrabures non conventionnels, même s'il faut, bien sûr, prendre quelques précautions nécessaires». Une position favorable au gaz de schiste mais que ne partage point le directeur de recherche au Cread, Amor Khelif, selon qui, une telle orientation de politique énergétique «n'est qu'un prolongement d'une économie rentière et de spécialisation dans une seule matière première digne du XIXe siècle». L'Algérie, a-t-il développé, continue ainsi à favoriser «une logique sectorielle» alors que la part de la production manufacturière y reste dérisoire et qu'il y a aujourd'hui urgence de rompre avec l'économie rentière et la spécialisation. Pour les grandes firmes internationales, a-t-il avancé, l'enjeu n'est pas tellement de développer le gaz de schiste mais de «reconstituer leur contrôle sur les réserves mondiales». De plus, soutient le professeur d'économie, la valorisation des hydrocarbures non conventionnels est une option qui comporte «beaucoup d'incertitudes», tant autour des coûts de production, des prix et des taux de récupération que pour ce qui est des capacités de Sonatrach à maîtriser cette nouvelle filière. L'Algérie, avertit-il enfin, risque surtout «de servir de terrain d'expérimentation».