Différentes organisations patronales et représentantes du monde économique ont pris part aux consultations autour de la prochaine révision constitutionnelle. Le maître-mot des décideurs et analystes économiques est de constitutionnaliser la fin de l'économie de rente liée aux hydrocarbures. Des propositions comme l'élargissement du rôle du Conseil national économique et social (CNES), sévir en matière de lutte contre la corruption et consacrer réellement la liberté d'investir ont été réitérées par les hôtes d'Ahmed Ouyahia. C'est du moins une partie des propositions qui ressortent des discussions qui ont eu lieu jusque-là entre le chef du cabinet de la Présidence et les partis, personnalités et autres organisations prenant part à ces discussions. Mercredi dernier, l'ancien Premier ministre recevait les organisations patronales dont les propositions se rejoignent parfois et se complètent d'autres fois. Certaines, à l'image du Forum des chefs d'entreprises (FCE), de Nabni et de la CGEA ont insisté sur la reformulation dans la prochaine Constitution du principe consacrant la liberté d'entreprise. L'article 37 de la Constitution actuelle garantit «la liberté de commerce et d'industrie» dans «le cadre de la loi». Pour les chefs d'entreprise, c'est insuffisant compte tenu des entraves et des difficultés liées à la création d'entreprise et à l'investissement. Nabni estime que l'Etat doit «éliminer toutes les barrières réglementaires non justifiées économiquement et qui entravent la liberté d'investir ou accroissent le coût de l'investissement». Pour Youssef Yousfi, président de la confédération générale des entrepreneurs algériens, la mention ajoutée «dans le cadre de la loi» pose un problème dans la mesure où «cette loi est élaborée par l'Exécutif et promulguée par l'instance législative, autrement dit les droits reconnus sont malléables.» Le FCE considère du coup que la formulation actuelle doit être «adaptée au contexte économique» de l'Algérie et se propose de la reformuler ainsi : «La liberté d'entreprendre et d'investir dans l'industrie, le commerce, et les services est garantie». Cette liberté doit être accordée à tout citoyen algérien «sans discrimination» et dans tous les secteurs économiques, à l'exception de ceux relevant «des intérêts sécuritaires et stratégiques» du pays, précise en outre Nabni. L'autre discrimination qui doit être abolie est relative à la neutralité et l'impartialité de l'administration. Pour le Forum des chefs d'entreprises, il est important de «consacrer dans la loi fondamentale le principe de non-discrimination entre les secteurs économiques public et privé». Quid de la rente ? L'autre élément crucial qui s'est invité dans les débats et qui fait l'objet de propositions par certains acteurs économiques et politiques concerne la construction d'une nouvelle économie, affranchie de la rente, en consacrant dans la nouvelle Constitution des mesures permettant de limiter graduellement la part des recettes des hydrocarbures dans le financement de l'économie nationale. Le collectif Nabni a fait de cette question l'un des axes centraux de ses propositions. «Si les gouvernants n'acceptent pas de se discipliner, en adoptant des règles constitutionnelles contraignantes, ils n'apparaîtront que davantage opposés à un changement de la logique rentière sur laquelle notre pays repose», lit-on dans le document. Actuellement, les ressources de la rente représentent 97% des recettes en devises du pays et participent à près de 70% dans le budget de l'Etat. Parallèlement, les ressources de la fiscalité ordinaire couvrent moins de 50% des dépenses publiques de fonctionnement. Pour une économie «détachée de la rente», Nabni propose que d'ici 2030 la contribution de la fiscalité pétrolière au budget de l'Etat soit plafonnée à 20% et qu'elle soit réduite à zéro cinq années plus tard. En 2035, le budget de l'Etat doit être financé uniquement sur la fiscalité ordinaire afin de préserver les recettes d'hydrocarbures «pour les générations futures». Alors que le RCD et le MSP boycottent les consultations, que le FFS y participe mais sans faire de propositions et que le PT propose que la nouvelle constitution «préserve les acquis économiques», certains formations politiques, bien qu'elles remettent en cause la crédibilité de ces consultations, estiment pourtant que «la nouvelle Constitution doit préciser que l'économie nationale ne soit pas fondamentalement basée sur les hydrocarbures», dixit Hamlaoui Akouchi, secrétaire général d'El Islah. Pour certains acteurs économiques et politiques, redéfinir les fondements économiques du pays est un défi majeur dans cette nouvelle Constitution. De plus en plus, on semble convaincu que l'Etat n'apportera les réformes nécessaires permettant de s'affranchir de l'emprise de la rente que s'il est constitutionnellement contraint. Ce qui n'est pas gagné quand on sait qu'en Algérie même la loi fondamentale peut être piétinée, sciemment ignorée et retouchée au besoin.