Les Libyens se rendent aujourd'hui aux urnes pour élire leur Chambre des députés, qui prendra la place du Conseil national général à la tête de l'Etat, pour une période encore inconnue, car la nouvelle Constitution libyenne n'a pas été encore adoptée. Tripoli (Libye) De notre envoyé spécial Avec les élections législatives d'aujourd'hui, la Libye aborde la troisième phase de sa transition démocratique après le Conseil national de transition (CNT) présidé par Mustapha Abdeljelil et les trois gouvernements, d'Abderrahim Al Kib, Ali Zeydan et Abdallah Thaney, issus du Conseil national général (CNG). Les actuelles élections sont, certes, prévues par la feuille de route de la transition, établie par le conseil de Mustapha Abdeljelil en 2011, mais elles étaient censées être l'émanation de la nouvelle Constitution, qui n'a pas été encore préparée pour se faire valider par un référendum populaire. Le CNG n'a pas facilité les élections de la commission constitutionnelle des 60, qui ont la charge de rédiger la Constitution. Ces élections devaient avoir lieu fin 2012. Elles n'ont été tenues qu'en février 2014. La Constitution n'est donc pas encore prête. Pourquoi ces élections ? Les Libyens ont élu le Congrès national général (CNG) le 7 juillet 2012 pour la durée d'une année afin qu'il assure la transition et aide à la préparation des élections suivantes d'un Parlement et d'un président de la République, selon les termes de la nouvelle Constitution, qui devait être prête entre-temps. Mais, le CNG n'a rien réalisé de ces objectifs. Pis encore, la situation sécuritaire s'est dangereusement dégradée et il s'est affirmé que plusieurs membres dudit congrès sont complaisants avec le terrorisme. En juillet 2013, et malgré des manifestations populaires réclamant le départ du CNG, un compromis a été établi au sein de la classe politique, afin d'accorder une première prolongation de six mois qui expire en février 2014. Le CNG était censé avancer dans les tâches de la transition, notamment la Constitution. Mais rien de cela n'a été réalisé avant février 2014. Donc, un large mouvement populaire a été lancé à travers la Libye pour organiser des élections, même avant l'adoption de la Constitution, histoire de doter le pays d'une institution légitime. «Il s'agit avant tout de dégager ce congrès de voleurs», insiste l'universitaire de Benghazi Amna Guellal. Pour contrer cet élan populaire, préserver, autant que possible, leurs intérêts et éviter un éventuel vote-sanction contre les principaux groupes manipulateurs au sein du CNG, les Frères musulmans du Parti de la justice et de la construction (PJC) et leurs alliés du bloc de la fidélité aux martyrs, ont modifié la loi électorale et éliminé du mode de scrutin la proportion de sièges, attribuée à des listes selon la proportionnelle aux plus forts restes. Ils ont limité le scrutin au vote uninominal pour brouiller les pistes de leurs candidats potentiels, ce qui rend difficile la formation de blocs homogènes au prochain Parlement. Jeux et enjeux Avec ce mode de scrutin, la lecture de la scène politique est, certes, plus difficile. Les candidats indépendants peuvent aller dans tous les sens comme l'indique l'expérience du CNG. Mais la lutte au sein de la société civile et l'ancrage tribal ont forgé une certaine opinion anti-Frères musulmans en Libye. «A l'opposé de l'Egypte et de la Tunisie, la confrérie d'El Ikhwane n'est pas bien implantée en Libye, comme l'indiquent les faibles résultats électoraux de leurs listes lors des élections du Congrès national général en juillet 2012, ou encore, de leurs candidats pour les élections du Conseil constitutionnel en 2014», explique l'islamologue Ahmed Drid, doyen de la faculté de droit de Ghariane. Il est donc fort probable que tous les candidats soupçonnés d'accointance avec le PJC soient sanctionnés. Pour sa part, le parti de l'Alliance des forces nationales de Mahmoud Jibril a clairement exprimé, dès le départ, son soutien à la campagne de Khalifa Haftar à l'est de la Libye, à l'opposé des Frères musulmans qui y sont opposés. M. Jibril et son parti essaient aujourd'hui de récupérer les bénéfices de ce soutien à travers un vote en faveur de ceux qui soutiennent Haftar et la lutte contre le terrorisme, assez majoritaires en Libye. Par ailleurs, et pour contrer une pseudo-réconciliation nationale parrainée par l'ONU, le Dialogue national prévu les 18 et 19 juin, en présence de 50 personnalités libyennes, n'a pas eu lieu. Le congrès a dû être reporté en raison du projet de sa feuille de route, contraignante pour le prochain Parlement, ce qui a été refusé par les différents intervenants sur la scène politique libyenne, notamment les libéraux. «La classe politique libyenne ne veut pas qu'on lui impose une recette concoctée par l'étranger. C'est pourquoi elle a demandé à reporter le Dialogue national à l'après-élections», observe le politologue et doyen de la faculté de droit de Tripoli, docteur Abdelgheni Amrou Rouimedh. «C'est d'ailleurs ce que les notables et les chefs des tribus libyennes ont demandé à Tarek Metri, l'envoyé spécial de l'ONU en Libye, qui n'a pu que se résigner», a ajouté l'universitaire. Les Libyens croient pouvoir forger leur destin et se débarrasser des terroristes. Croisons les doigts.