Gabriel Martinez-Gros nous fait entrer dans l'univers d'Ibn Khaldoun par plusieurs fenêtres. L'on découvre les complexités du sociologue et surtout la modernité de sa réflexion. Ibn Khaldoun et les sept vies de l'Islam, Actes sud, décrypte la pensée khaldounienne. L'œuvre d'Ibn Khaldoun a connu une longue parenthèse de sommeil. Traduite en français dès le milieu du XIXe siècle, son Histoire universelle, écrite au XIVe siècle, s'est trouvée, bien malgré son auteur, embrigadée dans la connaissance des tribus bédouines par les colonisateurs français de l'Algérie. Le projet d'Ibn Khaldoun est en son temps d'une grande ambition, et surtout modernité. « Pour Ibn Khaldoun, l'Etat est un processus contradictoire, construit par une violence organisée, que son fonctionnement l'amène cependant à affaiblir, puis anéantir. C'est dans le monde ‘'bédouin'', où la violence des groupes est rendue nécessaire par le souci de se défendre et de survivre, que l'Etat va puiser la force nécessaire à son existence et à son maintien. Cette force fond au bout d'un certain temps au feu de la pacification étatique, et doit être renouvelée. Il existe donc une relation intime et délétère entre l'Etat et la tribu. L'une nourrit l'autre, et s'y engloutit », note le spécialiste de l'Islam médiéval, Gabriel Martinez-Gros, dans son analyse de l'Introduction (Muqaddima) et de l'Histoire universelle. Dans son livre Ibn Khaldoun et les sept vies de l'Islam, Actes sud, le professeur d'histoire démontre que le fondateur de la sociologie est toujours d'actualité. La bédouinité est le thème central de la réflexion de cet érudit d'origine yéménite, né à Tunis en 1332 et mort au Caire en 1406. Gabriel Martinez-Gros s'interroge sur les conditions de pertinence de la théorie, de fait bien adaptée à une histoire impériale dont on peut repérer la mise en place en Orient dès le premier millénaire avant notre ère, mais que les royaumes hellénistiques ou l'Empire romain illustrent aussi. « En revanche, l'histoire de l'Occident médiéval et de l'ancien régime ne correspond guère à ce schéma, et encore moins l'histoire des nations modernes. Mais une forme d'épuisement du progrès économique, la mise en cause des nations, le malaise des démocraties pourraient rendre d'actualité, dans nos propres sociétés, à la théorie d'Ibn Khaldoun. » Il est donc possible de rendre au schéma d'Ibn Khaldoun sa pertinence. Pour écrire l'Histoire Universelle, Ibn Khaldoun innovera en regardant autour de lui. Il se fera tour à tour anthropologue, sociologue et historien.