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L'Université, la tutelle, le CNES et les grèves (2e partie)
Publié dans El Watan le 11 - 07 - 2006


Période de 1999 à 2002
Cette période était marquée par une nouvelle situation politique : élection d'un nouveau président promettant d'ouvrir les dossiers sensibles par l'installation de commissions de haut niveau sur la justice et l'éducation qui ont suscité beaucoup d'espoir chez une bonne catégorie de citoyens. Mais petit à petit, l'enthousiasme du début commençait à s'estomper. Les travaux des commissions n'ont pas été rendus publics jusqu'à aujourd'hui et les résultats ne sont pas encore mis en pratique. L'Université avait vu la mise en application de la réforme de regroupement des troncs communs (SETI, SNV) qui n'avait pas été discutée avec le monde universitaire. Pour sa part, le CNES avait vu éclater une crise interne entre la section syndicale de l'université de Constantine et le bureau national.
Cinquième grève : grève des examens de mai 2002
Le CNES, ayant tiré des leçons des grèves précédentes, avait compris que le seul but de l'administration était de gérer le flux des étudiants. La réalisation des programmes et la qualité de l'enseignement (cours, TD et TP) n'étaient pas son premier souci. Pour cela, comme suggéré dans notre article : faire des grèves à des périodes sensibles est plus efficace que dans la durée, le CNES avait décidé d'une grève de fin d'année afin de bloquer les examens, seul moyen de faire bouger les choses. Ce qui avait surpris les autorités, car elle menaçait la rentrée scolaire 2002/2003, qui ont paniqué, surtout après un début de mouvement des lycéens inquiets de leur avenir. Cette grève avait donné des résultats par une augmentation des salaires assez substantielle, toujours insuffisante, sous forme de primes, mais sans pour autant régler le problème du statut et autres.
Période de 2002 à 2005
Cette période était marquée :
a) Sur le plan politique par :
La réélection du président sortant ;
le lancement d'une politique de réconciliation ;
la restriction du débat démocratique qui s'était installé après octobre 1988 ;
l'étouffement des libertés syndicales et de presse ;
les menaces sur les syndicats autonomes et le droit de grève ;
le refus des revendications en dehors de la tripartite (excluant les syndicats autres que l'UGTA),
b) sur le plan syndical par :
La tenue du deuxième congrès du CNES qui a élu une nouvelle direction après des luttes sourdes pour la composition du bureau ;
une nouvelle méthode de lutte : préférence surtout pour le dialogue avec les autorités qu'à l'action ;
des rencontres entre le CNES et la tutelle sur les principales revendications sans résultat probant ;
une baisse de la mobilisation et des effectifs du syndicat.
c) Sur le plan pédagogique et professionnel par :
un recrutement massif d'enseignants jeunes, avec surtout des diplômes de magistère ;
une aggravation du problème de logements ;
une augmentation vertigineuse du nombre de vacataires ;
une domination de l'administratif sur le pédagogique ;
un nivellement de certains diplômes vers le bas ;
une fuite continue des compétences à l'étranger ;
le lancement de l'habilitation de manière très confuse ;
le non-règlement du problème des équivalences : certains collègues de niveau doctoral sont toujours bloqués dans leur progression ;
un laisser-aller dans les soutenances et projets de recherche,
un harcèlement des enseignants, surtout les nouveaux, par une certaine administration ;
le problème de paiement des vacations ;
la réorganisation de l'architecture universitaire par la création de facultés et par le renforcement des prérogatives de l'administration au détriment de la pédagogie ;
le lancement précipité de la réforme LMD ;
une demande de certaines universités de généralisation de la prime de zone. Soulignons qu'en plus de son combat pour ses revendications corporatistes, le CNES s'était impliqué dans des domaines autres que l'université dont la dénonciation de la répression du mouvement citoyen en Kabylie, notamment la défense des libertés syndicales et démocratiques avec d'autres syndicats, la condamnation de l'invasion de l'Irak par les USA en avril 2003... Ainsi, nous constatons à travers ce bref rappel des grèves précédentes que les principales revendications des enseignants universitaires sont restées les mêmes et que les autorités ne les ont jamais concrétisées, faisant fi de leurs promesses et même de la loi sur les conflits sociaux, cela d'une part. Les petites solutions proposées telles les augmentation de certaines primes (qui, d'ailleurs, ont été arrachées par le CNES après les grèves quoi qu'en pensent certains) n'ont fait que fausser le problème d'autre part. Entre temps, un nombre important de nos collègues compétents sont partis en retraite ou bien se sont exilés, dont beaucoup le cœur plein de tristesse et d'amertume. Deuxième partie. A propos la grève de mai 2006 et les relations entre la tutelle et le CNES.
Préparation de la sixième grève de mai 2006
Le CNES avait constaté que la politique de dialogue (rencontres, commissions, etc.), menée durant 2004 et 2005 avec la tutelle était une perte de temps, car l'argument essentiel de celle-ci, c'est d'attendre le statut de la Fonction publique qui doit passer devant l'Assemblée populaire nationale (APN). Par ailleurs, comprenant que ses propositions ne seront pas retenues, le CNES a décidé de passer à l'action en proposant une grève de fin d'année, afin de bloquer les examens, ultime recours pour se faire entendre. Mais cela était sans compter que nous sommes à une époque où les autorités du pays ne veulent pas entendre parler de libertés syndicales et que les acquis sur le plan des libertés sont remis en cause (il suffit d'écouter les discours des hautes autorités). Ainsi, tout un arsenal de subterfuges juridiques a été sorti pour casser la grève décidée par un vote des assemblées générales des enseignants. Le premier argument de la tutelle est celui de la soi-disant non-représentativité du CNES. Nous allons dans cette partie analyser et commenter les mesures prises par les autorités pour briser la grève. Tout d'abord, après deux années de rencontres infructueuses avec la tutelle, le CNES s'est décidé à élaborer un programme d'action pour l'année scolaire 2005-2006 qui comprenait :
Une journée de protestation le 23 janvier 2006 ;
une semaine de grève d'avertissement du 25 février au 2 mars 2006 ;
deux journées de protestation les 17 et 18 avril pour voter la grève des examens du 13 mai 2006 ;
le lancement de la grève pour le 13 mai 2006 date du début des examens. Le premier trimestre de cette année (2006) a été un succès pour le CNES sur le plan de la mobilisation. En effet, lors des journées de protestation et de la semaine de grève, les nouvelles adhésions au CNES ont été massives (sur ce plan, nous pensons que l'information sur les salaires de nos collègues marocains avait fait son effet tant sur les enseignants que sur les autorités). Bien que le mouvement de grève semblait bien lancé, quelques obstacles et non des moindres sont apparus. Devant l'ampleur de la mobilisation, la tutelle a décidé d'empêcher coûte que coûte le maintien du mot d'ordre de grève en utilisant tout un arsenal d'articles concernant les lois du travail. Son argument principal, comme nous l'avons déjà dit, est que le CNES n'est pas représentatif aux yeux de la loi 90-14. Nous n'allons pas entrer dans les détails de cette question qui est en train d'être clarifiée, mais nous pouvons faire deux remarques à ce sujet. Premièrement, la tutelle et les responsables des établissements de l'enseignement supérieur ont su manœuvrer sur la question des listes des adhérents au CNES, tantôt en exigeant la liste nominative, tantôt en invoquant la date butoir du 31 mars, tantôt en déclarant les effectifs moins de 20%. Deuxièmement, le CNES n'a pas été vigilant sur cette question.
L'exemple de l'université de Boumerdès
A ce propos, nous pouvons donner pour illustration l'exemple de l'université de Boumerdès. Résumons un peu le film :
Les effectifs du CNES de 2005 étaient de 219 sur environ 850 à 900 enseignants, selon le rectorat ;
la journée de protestation du 23 janvier 2006 a vu une adhésion massive d'enseignants, et le vote de la grève d'une semaine a donné le résultat suivant : 216 votants sur plus de 280 adhérents dont 211 pour le oui, et cela en présence de l'agent officiel représentant l'administration (cette AG a fait l'effet d'une bombe au rectorat en constatant que les 20% ont été largement dépassés, et à ce titre a vu tous ses calculs faussés) ;
la semaine de grève du 25 février au 2 mars 2006 a été largement suivie dans toutes les facultés ;
les deux journées de protestation des 17 et 18 avril 2006 ont permis d'augmenter les effectifs du CNES, surtout après les menaces sournoises de l'administration qui n'a pas voulu déléguer cette fois-ci son représentant, même l'huissier de justice a failli à son travail ;
les deux votes pour déposer deux préavis de grève des examens du 13 mai 2006 : l'un national et l'autre local, ont donné un résultat majoritaire pour le oui ;
quelques défaillances ont eu lieu dans certaines facultés à spécialités, mais cela n'a pas empêché le nombre d'adhérents de s'accroître ;
plainte de l'administration auprès de la justice de Boumerdès quant à l'illégalité de la grève pour cause de non-représentativité du CNES local (selon l'administration) ;
travail conjoint entre le recteur et le secrétaire général pour casser la grève,
entrave à l'exercice du droit syndical (refus de donner des amphithéâtres pour tenir des AG, arrachage des affiches du CNES, contrairement à d'autres universités telles que l'USTHB) ;
utilisation massive et abusive des moyens administratifs (tirage de textes choisis « anti-grève », création illégale de commissions ad hoc servant à menacer les étudiants et enseignants, manipulation des agents de sécurité, intimidations et menaces sournoises non écrites, etc.) pour briser le mot d'ordre de grève ;
menaces et chantages à propos des stages et séminaires.
Sur la manipulation de l'administration quant à la représentativité du CNES local de Boumerdès
A la veille du lancement de la grève, la décision de justice quant à son illégalité est tombée. Que faire ? Comment est-ce possible alors que les chiffres communiqués par le CNES dépassaient de loin les 20 %, car nous sommes à 416 adhérents sur environ 900 enseignants ? En janvier, le CNES était représentatif et maintenant non. Que s'est-il passé ? Cette situation est la même au niveau national. Et bien, comme l'ordre est venu d'en haut pour actionner la justice, nous pensons que celle-ci a été trompée dans les chiffres : le rectorat a manœuvré sur des alinéas des articles de la loi 90-14, en fournissant le chiffre de 52 cotisants à la place du nombre d'adhérents de l'année 2005 (ce qui fait, pour la justice, environ 5%). Or les textes parlent du nombre d'adhérents (confirmés par les bulletins d'adhésion avec signature) et du montant des cotisations et non de cotisants. Ajouter à cela, le manque de vigilance de la part du CNES qui ne s'attendait pas à cette manœuvre. C'est de bonne guerre, disent certains. Nous disons pour notre part que pour qu'il y ait bonne guerre, il faut d'abord la déclarer et être dans les mêmes conditions. Pour nous, le CNES n'est pas en guerre, il réclame ses droits tout simplement. Bref, nous n'allons pas entrer dans tous les détails de cette « guerre non déclarée », car nous pouvons encore signaler toutes sortes de manœuvres et intimidations sournoises de la part de l'administration contre les enseignants grévistes et même contre les étudiants dont la sympathie va à leurs enseignants. Signalons un dernier point au sujet de l'administration de Boumerdès. Parmi nos collègues enseignants ayant une responsabilité administrative, certains (nous disons bien qui se reconnaîtront d'eux-mêmes) ont perdu leur âme, leur essence, qui est d'être pédagogue avant tout, en se comportant comme des administrateurs zélés. Certains pour gagner quelques dinars de plus (prime de responsabilité touchée sous forme de vacations maximales de manière illégale), d'autres pour faire carrière ou pour avoir quelques privilèges et avantages. Ce qui les pousse à montrer un profil bas devant leurs collègues grévistes luttant pourtant aussi pour leurs intérêts. Par leur excès de zèle, les intimidations, le chantage et les menaces (de manière sournoise et déguisée) à l'encontre de leurs collègues grévistes quant aux stages, séminaires, nominations..., ils ont perdu toute crédibilité et respect, d'autant plus qu'ils ont oublié que, du point de vue de la déontologie universitaire, le pédagogique prime sur l'administratif. (A suivre)
L'auteur est enseignant à l'université de Boumerdès


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