Durant les première et seconde législatures (1977-1987), l'APN avait légiféré à l'ombre d'un système politique qui ne lui laissait aucune initiative sinon celle d'adopter, toujours à l'unanimité, les projets et propositions de lois soumis au parlement. Qualifié à juste raison de chambre d'enregistrement, le parlement avait assumé un rôle mécanique de fabrique de lois sans aucune emprise sur les réalités politiques, économiques et sociales du pays. Le fonctionnement et l'organisation du parlement obéissaient au schéma classique d'un parlement issu du parti unique. Les nominations à tous les niveaux de responsabilités, du poste de président de l'Apn aux composantes des commissions permanentes de l'Assemblée s'opéraient suivant les règles et les équilibres politiques régionaux édictés par le système. Parti-Etat, le FLN était derrière toutes les nominations, les promotions aux responsabilités à des fonctions électives et les mises au placard. Le scénario est vieux comme le système et la formule devenue célèbre dans l'hémicycle de l'Apn : « La direction politique propose la nomination au poste de président de l'Assemblée M. Untel. » L'intervention « spontanée » de l'ancien patron du FLN feu Mohamed Cherif Messaâdia devant les députés à l'occasion du renouvellement de la confiance au président de l'Apn sortante avait valeur de décret de nomination. Les députés n'avaient alors plus qu'à « élire » par acclamation leur président. L'illustration la plus parfaite de la nature foncièrement conservatrice du parlement durant cette période est sans conteste fournie par le débat sur le code de la famille. La majorité des interventions des députés convergeait pour relever que la place de la femme était derrière l'homme mais pas à ses côtés. Pour illustrer cette différence de statut inscrite dans les gènes des deux sexes selon les députés, un parlementaire n'avait pas hésité à prendre à témoin l'opinion en mettant au défi la femme qui revendique le même statut que l'homme de prendre le volant d'un tracteur et de le conduire comme si cet exercice relevait d'une mission impossible pour elle. Au milieu de cet univers stérilisant de la pensée unique il y eut , malgré tout, dans la vie du parlement des cris de cœur qui avaient fait vibrer l'Apn , briser la loi du silence et le faux consensus établi par le système qui n'hésitait pas, au gré des alliances et des rapports de force du moment, à broyer de manière impitoyable ses serviteurs les plus loyaux. Le coup de gueule lancé au sein de l'Apn par l'ancien président feu Rabah Bitat au lendemain de la cérémonie officielle de remise de médailles de la Révolution de Novembre à des personnalités avait fait l'effet d'une bombe au sein de l'hémicycle. Il avait dénoncé en des termes virulents l'OPA lancée sur la Révolution de Novembre, le copinage et la légèreté avec laquelle la liste des bénéficiaires avait été établie. En tant qu'historique de la Révolution, il avait été classé dans la liste des récipiendaires à la cinquième position derrière Messaâdia, Abdelghani et d'autres. Il avait vécu cela comme une suprême humiliation, une grave dérive révisionniste et une offense à l'authenticité de la Révolution. Parlement monopartisan, la moindre opinion contraire émise au sein de l'Apn sous le règne du parti unique était vécue comme un acte de dissidence politique. Les passes d'armes auxquelles avaient donné lieu l'examen et l'adoption de certains projets de lois jugés presque séditieux et anti-nationaux par les tenants du maintien de l'ordre en place avaient jeté au sein de l'Apn les bases d'un débat politique nouveau . Le faux consensus Ce fut, entre autres, le cas lorsque les députés avaient été saisis dans les années 1980 du projet de loi sur le commerce extérieur ouvrant la voie aux investissements étrangers dans l'économie nationale. Il était question d'ouvrir le capital social des entreprises nationales aux investissements étrangers à hauteur de 49%, la majorité revenant aux entreprises publiques. Conséquence des résistances idéologiques, politiques et du discours socialisant qui ont marqué le système depuis l'indépendance : le projet de loi fut voté à l'arraché. Le coup d'envoi des réformes et de l'abandon de l'idéologie socialiste venait d'être donné. Le vent du libéralisme qui soufflait sur l'économie mondiale commençait à gagner le système économique national. Mais comme les réformes économiques impliquaient nécessairement une mise à niveau du système politique pour porter ces réformes, il fallait ouvrir le système, réformer les institutions politiques, bâtir un Etat fondé sur les principes démocratiques et le respect des libertés et des droits de l'homme. Les émeutes d'octobre 1988 avaient précipité l'avènement de cette nouvelle ère. Mais avant cela et au sein de l'Apn, de manière très subtile mais avec un engagement résolu, certains députés, pourtant d'obédience FLN, s'étaient distingués lors des travaux et des débats de l'Assemblée par leurs prises de position sur certains dossiers sensibles au point de devenir la coqueluche de certains journalistes de la presse du parti unique partageant les mêmes aspirations au changement. Au sein du FLN, pour préserver le parti menacé d'implosion sous l'effet du mécontentement qui commençait à se durcir, un débat sur la transformation du FLN en large front politique ouvert sur les courants et sensibilités traversant le parti prenait forme. Ce débat a vite fait de déteindre sur la vie parlementaire. Au lendemain des émeutes d'octobre 1988, la citadelle FLN n'était plus qu'amas de ruines. Des mouvements politiques interdits comme le MDA (Mouvement pour la démocratie en Algérie) de l'ancien président Ahmed Ben Bella avaient pénétré l'institution parlementaire par effraction puisque cette formation n'était pas encore agréée à l'époque. La mouche du coche Un ou deux députés FLN qui avaient rejoint ce mouvement se livraient le plus normalement du monde à des déclarations et animaient des points de presse au nom de ce parti dans l'enceinte du parlement. Ils seront rejoints, quelques mois plus tard, par un autre transfuge du FLN : l'ancien député Abdelkader Merbah qui avait rejoint le parti de feu Kasdi Merbah, le MAJD (Mouvement algérien pour la justice et le développement) avant de créer son propre parti le RPR (Rassemblement pour la République). Avocat de profession, cet ancien député avait réussi, par son activisme, à incarner à lui seul l'opposition au parti du FLN tout en agissant, lui aussi, à l'instar des députés du MDA, dans l'illégalité puisque le parti n'était pas encore reconnu. Le pouvoir à l'époque laissait faire et faisait le dos rond dans le souci d'amortir les chocs sociaux et politiques induits par les émeutes d'octobre 1988. A sa manière, ce député avait joué le rôle de la mouche du coche. La moindre de ses interventions descendant en flammes le système FLN suffisait pour déclencher dans l'hémicycle un brouhaha indescriptible. Il n'avait pas hésité à se présenter au sein de l'Assemblée vêtu d'une gandoura bariolée de slogans dénonçant la corruption, le népotisme, les injustices sociales... Plus d'une fois, il avait fallu toute la diplomatie de l'actuel chef du gouvernement et secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem qui venait de succéder à feu Rabah Bitat au perchoir de l'Apn après avoir fréquenté l'hémicycle de l'Apn pendant de longues années pour ramener le calme dans l'enceinte parlementaire. De l'intérieur du FLN, des voix commençaient à s'élever, un embryon de courant réformateur prenait forme et consistance, notamment avec l'arrivée de Mouloud Hamrouche à la tête du gouvernement. Le multipartisme n'était pas encore à l'ordre du jour. Contrairement aux trois députés qui avaient quitté le FLN pour d'autres formations politiques, un noyau de députés du FLN avait choisi de démocratiser le système de l'intérieur. C'est ainsi par exemple qu'un groupe de députés avait réussi dans les années 1990 à obtenir la mise sur pied de deux commissions parlementaires : la première chargée d'enquêter sur l'affaire dite des « 26 milliards » et l'autre sur la chambre nationale de commerce. Une première dans les annales du système : des personnalités influentes du pouvoir à l'époque – Premier ministre, ministres, responsables des services de sécurité, hauts cadres de la Présidence, à leur tête le tout-puissant directeur de cabinet de la Présidence de l'époque, Larbi Belkheir – avaient défilé devant la commission d'enquête parlementaire pour être auditionnés. Cependant, la fièvre qui s'était emparée de l'institution parlementaire et des cercles politiques suite à ces scandales a vite fait de tomber. Aucune suite n'avait été donnée aux conclusions des rapports des commissions d'enquête. La démission de Chadli en janvier 1992 avait mis fin à l'exercice parlementaire issu du suffrage universel pour ouvrir une autre page marquée par la mise en place d'instances législatives de transition non élues. Organes de consultation, ces structures dénommées Conseil consultatif national (1992-94) sous feu Mohamed Boudiaf, Conseil national de transition (1994-97) sous le règne de la présidence collégiale, le Haut Conseil de l'Etat mis sur pied après l'assassinat de Boudiaf, avaient assumé les fonctions de parlement sans avoir réellement exercé les prérogatives du parlement telles que garanties par la Constitution. Cette période de transition politique prit fin avec la révision constitutionnelle du 28 novembre 1996 qui avait introduit des modifications dans la structuration du pouvoir législatif basé sur le système bicaméral : la chambre basse (l'Assemblée populaire nationale) composée de 380 députés et la chambre haute (le Sénat) composée de 144 membres. Demain : III. CCN et CNT ou la transition dans la tourmente