Organisée du 2 au 9 août, la 36e édition du Festival international de Timgad a provoqué la colère des habitants, des artistes et de certains responsables de Batna, car la commune de Timgad ne tire aucun profit de l'événement. A deux kilomètres de Timgad, la lumière des méga-projecteurs du festival vendu comme un «festival international» traverse le ciel. Mais sur la route qui relie les deux entrées du théâtre, les badauds massés dans la fumée des restaurants de chouas et la poussière ne sont là que pour regarder passer les gens. «Nous ne sommes pas concernés, car ce n'est plus le Timgad d'avant. A Timgad, les citoyens ne tirent aucun profit de cette manifestation», confient-ils. Ici, tout le monde vous parle de l'importance historique du site et de l'impact que le festival pouvait avoir sur la population locale. Tous parlent de ce sentiment de «marginalisation» et de «stigmatisation». «Même les vigiles et les gardes sont recrutés ailleurs, notamment à Alger. Or, ce festival pourrait être pour nous une opportunité d'emploi temporaire. Malheureusement, ce n'est pas le cas», s'indignent certains jeunes rencontrés au centre-ville. Concernant l'impact du festival sur le développement local d'une région qui ne compte qu'un seul hôtel datant de l'époque coloniale, Menacer El Hadj Brahim, élu de l'Alliance nationale républicaine (ANR), partage la même colère que ces citoyens. «Nous ne sommes qu'observateurs dans ce festival, pourtant organisé dans notre localité. Nous n'encaissons aucun bénéfice financier ! Le seul point positif à relever et la médiatisation du site de Timgad devenu mondialement connu», avoue le P/APC rencontré dans l'enceinte du théâtre. Centralisme Il avoue avoir eu le soutien de la wilaya. Pour lui, l'avenir sera prometteur. «Une Zone d'extension touristique est prévue dans le prochain plan quinquennal (2014-2019). Nous avons plus de 3500 m2 pour la construction d'un complexe touristique dont les travaux seront lancés dans un mois. Nous avons aussi un centre de compétences qui va ouvrir prochainement avec plein d'autres projets à venir», assure El Hadj Brahim. En réponse à Lakhdar Bentorki, commissaire du festival et directeur de l'Office national de la culture et de l'information (ONCI) qui, dans une conférence de presse animée le 2 août avant l'ouverture de festival, déclarait : «Si les artistes étaient amenés à quitter la ville le soir-même de leur prestation, c'est parce que Batna manque terriblement d'infrastructures d'accueil.» A ce titre, le P/APC de Timgad lance un appel à tous les investisseurs : «Toutes les portes seront ouvertes aux investisseurs. Je me chargerai moi-même de ce dossier. Je souhaite relancer le festival méditerranéen et le festival des arts populaires. La ville de Timgad sera animée tout au long de l'année», affirme-t-il. Ce que El Hadj Brahim évite d'évoquer, c'est la question du centralisme dans l'organisation du festival. De nombreux artistes se sentent «écartés» de la programmation. L'un d'eux, Khaled Bouali, universitaire et dramaturge qui comptabilise au moins dix pièces théâtrales, estime ses travaux «interdits» par les structures étatiques dont la fameuse pièce de Jugurtha. A la demande pressante du théâtre de Batna, Jugurtha, qui relate l'histoire du roi numide, n'a été présentée que deux fois depuis1997 avant d'être mise au placard du TNA. INdésirables D'autres artistes, qui évoluent dans un autre registre, comme Djamel Sabri, dit, Joe, sont aussi mis à l'écart. Natif d'Oum El Bouaghi, il est chanteur de rock chaoui comptant quatre albums dans son parcours d'artiste. Une vedette dont on entend peu parler. «Ma seule participation date de 1998 après la réouverture du festival. Depuis, ils ne m'ont jamais rappelé. En 2002, ils m'ont programmé à mon insu. Quand le public s'est interrogé sur mon absence, on lui a répondu que c'était moi qui avais refusé de participer. Un pur mensonge ! Je reste indésirable, car les organisateurs préfèrent les chanteurs lèche-bottes du pouvoir», s'emporte-t-il. Saïd Berkane, issu d'une famille d'artistes peintres, plasticien et décorateur, est à l'origine des décors de plusieurs films, tels que Ben Boulaïd, Zabana, Ibn Khaldoun et Fadhma n'Soumer. Il affirme qu'«il est sur une liste rouge» ici à Batna. «Je suis persona non grata dans le secteur de la culture dans ma propre wilaya au point où on a osé m'interdire l'accès à la salle de théâtre», se plaint-il. Dans le milieu artistique à Batna, on «attribue la responsabilité de la dégradation du festival à Lakhdar Bentorki», directeur de l'ONCI depuis 1998. Quant à ceux qui plaident la cause palestinienne, ils ne comprennent pas pourquoi les responsables du festival, en l'occurrence le ministère de la Culture et l'ONCI, se contentent seulement d'envoyer la recette des rentrées à la Palestine, «alors que le festival a dû coûter des milliards». Figurants Seule, la chanteuse algérienne Nadia Baroud a, lors d'un point de presse animé le 2 août, annoncé qu'elle serait prête à verser son cachet aux enfants de Ghaza, à la demande des organisateurs. Les journalistes, de leur côté, n'ont pas manqué de dénoncer le comportement de la chanteuse française, Indila, qui a non seulement éludé de se prononcer sur le conflit israélo-palestinien, mais a également refusé de répondre à leurs questions. Par ailleurs, aucune information n'a été communiquée au sujet des cachets des artistes ni même du coût total du festival. Pourquoi le cachet des artistes ainsi que le budget consacré à l'organisation du festival seraient-ils secrets, alors qu'il s'agit d'une dépense publique ? «On se demande comment le festival, qualifié d'international, où aucun étranger n'était présent en dehors des artistes qui peinaient à remplir 60% des gradins, peut être bénéfique aux Palestiniens et aux habitants de Batna ?» Pour l'instant, l'APC et la wilaya, chargées de l'hébergement et de la restauration, se contentent de jouer les figurants.