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Derrière la douceur du sourire, la force de l'engagement
Hommage à Lucette Safia Hadj-Ali
Publié dans El Watan le 23 - 09 - 2014

L'hommage commence par la projection de Itinéraire d'une militante algérienne, un entretien filmé avec la militante disparue le 26 mai 2014 à Toulon, réalisé par Khaled Gallinari.
Paris
De notre correspondante
Ce dernier, dans un message adressé aux organisatrices de l'hommage, souligne que «réaliser un document conséquent sur Lucette Hadj-Ali est une tâche de plus longue haleine, tant le spectre des combats de cette grande dame du mouvement national et communiste algérien est vaste». «Je pense néanmoins que le contenu, développant la vie et les combats multiformes de Lucette, durant toute sa vie, saura attirer notre intérêt, (luttes anticoloniales, lutte indépendantiste, luttes algériennes après l'indépendance, combats de la femme algérienne, dès les années quarante et jusqu'à son dernier souffle.»
Et il précise que cet entretien «servira prochainement à intégrer Lucette dans un travail plus global sur le mouvement communiste algérien, où elle prendra place parmi ses compagnes et ses compagnons de lutte, dont certains, encore bien vivants, et que j'ai pu rencontrer, mériteraient d'autres moments comme celui-ci». Dans un message transmis d'Alger, la moudjahida Zoulikha Bekkadour salue «le courage de Lucette et ses sœurs (j'allais dire sa fratrie) et plus particulièrement ses parents pour le dévouement et la générosité qu'ils ont manifestés à l'égard des détenues de la prison civile d'Oran, qui ne recevaient pas le panier quotidien autorisé pendant la détention préventive. Après le départ de ma mère venue nous rendre visite dès notre arrestation début novembre 1956, la famille Larribère a pris le relais en envoyant tous les matins les rations alimentaires qui complétaient largement le contenu des gamelles. Ces nobles gestes ont contribué à sauver la santé physique et surtout morale de toutes les prisonnières. Je remercie à titre posthume la famille Larribère et toutes les personnes qui ont eu le même comportement désintéressé. Enfin et pour finir, je salue la mémoire de notre sœur Lucette qui, à l'instar de toutes nos héroïnes, a donné le meilleur d'elle-même pour que l'Algérie, avec l'indépendance, recouvre sa souveraineté.»
Lalia Ducos, une des organisatrices de la rencontre, évoque les lendemains de l'indépendance nationale, l'ambiance d'«euphorie et de reconstruction du pays» de cette époque. Récit.
Modestie et humilité
«Jamais Lucette et ses amies n'ont mis en avant leur participation qu'on peut qualifier d'héroïque à la libération de notre pays. Elles étaient toutes d'une grande modestie et d'une grande humilité, ce qui, hélas, nous prive aujourd'hui de nombreux témoignages», rappelle Lalia Ducos. «Par sa modestie et son écoute, Lucette fait de chacune et chacun une personne importante, digne d'émettre un avis. C'est dans cet esprit, militante de base à l'UNFA, que j'ai participé au 8 Mars 1965. Voilà un événement essentiel dans le combat des femmes qui devrait être plus évoqué et s'inscrire dans la lutte pour l'égalité des femmes».
Le 8 Mars 1965 a été déclaré officiellement «Journée de la femme en Algérie», journée chômée, rappelle Lalia. Un meeting officiel est annoncé en présence du président Ben Bella. L'UNFA, ses deux coordinatrices moudjahidate, Akila Abdelmoumène (aujourd'hui
Akila Ouared) et la journaliste Zhor Zerari (décédée en août 2013 ; qu'elle repose en paix), annoncent la commémoration de cette journée sous le thème de l'égalité femme/homme.
«Des milliers de femmes, travailleuses, femmes au foyer, étudiantes, moudjahidate ont défilé du Champ de manœuvre à Bab El Oued, au cinéma Majestic (Atlas), où devait se tenir le meeting du président Ben Bella. D'un bout à l'autre d'Alger, les slogans fusaient en solidarité avec les femmes des pays encore sous domination coloniale, mais aussi pour l'application de la Charte d'Alger pour la femme au travail»…
Le 8 Mars a continué d'être une journée de revendications, malgré toute la force que représentaient les Algériennes, le code de la famille instituant l'infériorité de la femme a été voté en catimini par l'Assemblée nationale en 1984. Lucette n'a jamais failli à ce rendez-vous du 8 Mars pour dénoncer ce code de «l' infamie».
«A la suite du coup d'Etat de 1965, des militants et dirigeants du Parti communiste algérien (PCA) et de l'aile gauche du FLN créent l'Organisation de la résistance populaire et de nombreuses manifestations eurent lieu dans de nombreuses villes. La répression ne s'est pas fait attendre. Les dirigeants de l'ORP, Bachir Hadj-Ali, premier secrétaire du PCA, Hocine Zehouane, dirigeant du FLN, Mohamed Harbi furent arrêtés avec d'autres militants. Des centaines d'Algériens furent arrêtés les jours et les semaines qui suivirent le coup d'Etat. Pour discréditer le mouvement de contestation, l'organe du FLN, El Moudjahid, parle de «complot de la main de l'étranger», en mettant en avant les noms de camarades d'origine européenne sans préciser qu'ils étaient Algériens, et pour la plupart militants de la guerre de Libération nationale».
«… Parmi les détenus figurait une femme, la moudjahida Gilberte Taleb, aujourd'hui Gilberte Sportisse, séquestrée et torturée pendant 20 jours, déjà torturée par le régime de Vichy et le régime colonial, elle fut transférée à la prison d'El Harrach avec les détenues de droit commun et libérée le 1er Novembre 1966.»
Un mélange de force et de douceur
«Lucette s'était chargée d'alerter l'opinion nationale et internationale par des communiqués aux ambassades étrangères et aux agences de presse. Nous nous adressions sans succès aux autorités algériennes.»
«Ce n'est qu'après deux mois de séquestration que les détenus furent transférés à Lambèse pour certains, Bachir Hadj-Ali, Hocine Zahouane, Mohamed Harbi, Boualem Makouf de la JFLN, et à El Harrach pour un grand nombre d'entre eux.»
«… Lucette était réconfortante et apaisante et surtout infatigable : c'est elle qui a sans cesse mobilisé les mères et les femmes des détenus, c'est elle qui a organisé les multiples démarches auprès des différents ministères, c'est elle qui s'est chargé de l'accueil des avocats venus de Paris, de l'organisation de la défense et de la rencontre des avocats avec les familles.»
«Je terminerai par cette anecdote concernant le président Boumediène que j'ai rencontré de façon fortuite dans la forêt de Baïnem ; je lui ai demandé la libération de ces derniers ; il me regarda fixement de ses yeux perçants et me répondit : ‘‘La prochaine fois, c'est vous les femmes qu'on mettra en prison, vous qui n'avez cessé d'alerter la presse internationale''.»
«... Lucette, je t'ai vite rapporté cette rencontre, tu as ri de ton rire inimitable, tes yeux brillaient et nous avons su que notre combat de femmes était efficace.»
Mustapha Benallègue évoque la période de la guerre de Libération nationale, la période post-indépendance, la clandestinité, le contexte difficile pour les détenus et leurs familles. Et à Lucette dans chacune de ces périodes et contextes, à Lucette, une «véritable héroïne» «des missions de plus en plus difficiles étaient confiées».
Fadéla M'Rabet, une figure de la première heure du féminisme algérien, évoque son amie et collègue du lycée Idrissi à travers des anecdotes et des situations vécues dans les premières années de l'indépendance, qui préfiguraient déjà l'intégrisme en milieu scolaire dans Le chat aux yeux d'or, édité par les éditions de l'Aube en 2006. Un livre qu'elle écrit après ses retrouvailles avec Lucette au Salon du livre de Montpellier.
«Lucette a été une des plus belles rencontres de ma vie. Je l'ai revue en 1994 à la création du RAFD Marseille dont elle a été membre fondatrice», témoigne Claudie Médiène dans un texte lu lors de la cérémonie.
«Elle était curieuse de tout avec des rires et des indignations de jeune fille. Avec elle, il n'y avait pas de tabou, on pouvait parler de tout. Lucette ne gardait que l'essentiel parce qu'elle avait longtemps vécu dans la clandestinité. Cette forme d'ascétisme était une leçon pour moi. Elle était toujours dans le présent, elle n'était jamais dans le négatif.» Evoquant une «femme d'exception», Jeanine Caraguel qui a connu le couple Hadj-Ali, accompagnée à la guitare par Ahmed Lasfer, a lu un poème Elle et Lui d'un recueil aujourd'hui introuvable, mémoire clairière de Bachir Hadj-Ali.


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