La Fondation Casbah a organisé, dans l'après-midi de samedi un hommage posthume au regretté poète Bachir Hadj Ali. Le coup d'envoi de cette rencontre a regroupé différents animateurs dont entre autres Abdelkrim Meziani, vice-président de la fondation et de l'universitaire et écrivain Mme Yamilé Haraoui-Ghebalou aux côtés de Belkacem Babaci, qui préside la fondation. Les orateurs sont revenus sur le parcours politique de l'illustre Bachir Hadj Ali. Un accent particulier a été mis sur les «rythmes vivants» de ses poèmes, de la culture populaire algéroise, symbolisée par le chaîne, mais aussi de cultures musicales populaires étrangères, comme le jazz, le blues ou le reggae. Les participants ont souligné le caractère précurseur de l'œuvre du poète en comparaison avec des théories critiques récentes, notamment celles ayant trait au bilinguisme ou à la «déconstruction» culturelle. Le premier conférencier, Abdelkrim Meziani est revenu sur le «rôle primordial» joué par le poète et militant communiste dans la prise de conscience nationale qui a conduit le peuple algérien à se libérer, rappelant que les travaux de Bachir Hadj Ali sur la musique ont permis d'apporter au sein du parti communiste algérien une dimension humaine, plus ancrée dans la société. Le plus grand mérite de Bachir Hadj Ali est d'avoir fait accéder la musique populaire algérienne à l'universalité par ses études techniques, explique-t-il. Pour étayer ses dires, il cite un texte de la revue française Nouvelle critique, paru en pleine guerre de libération et dans lequel le poète voyait dans la «sauvegarde de notre patrimoine l'un des plus grands enjeux de cette guerre, qualifiant chaque manifestation de la culture populaire algérienne, notamment les concerts radiophoniques de chaabi, de coup asséné à la thèse ‘'Algérie : néant avant 1830''». De son côté, Yamilé Haraoui-Ghebalou a mis en exergue le travail plus profond de Bachir Hadj Ali, relevant «sa compréhension très fine du terroir dans les rythmes vivants et rhizomatiques de sa poésie, le dernier concept étant emprunté aux philosophes français Gilles Deleuze et Félix Guatari signifiant la présence multiple et simultanée de plusieurs référents culturels», explique-t-elle. Et d'ajouter : «Le poète est en ce sens fidèle à la mémoire de la Casbah», un lieu où différentes populations se sont mélangées en s'appropriant et en développant une culture inédite et riche, résume l'écrivaine. Les rythmes présents dans la poésie de Hadj Ali témoignent d'une connaissance des rythmes propres à la culture algérienne. Ce qui place le poète dans sa société pour qui cette position d'ouverture et de modernité fait que Bachir Hadj Ali a opéré une critique au sens positif des éléments culturels, traduite par son engagement à donner une dimension universelle à la culture populaire algérienne. L'intérêt porté par le poète à d'autres musiques, comme le jazz ou le blues sont une illustration de cette volonté d'ouverture, selon l'écrivaine. Yamila Haraoui-Ghebalou est convaincue que tous ces éléments font de Bachir Hadj Ali un poète citadin, c'est-à-dire un homme engagé dans la cité, espace moderne par excellence, car, conclut-elle, être un homme de culture, c'est être un militant. Il est à noter, par ailleurs, Bachir Hadj Ali est né dans la Casbah d'Alger le 10 décembre 1920 d'une famille modeste originaire d'Aït Hammad (Azeffoun) en Kabylie. Il suit les cours de l'école coranique et de l'école française mais, pour aider sa famille, il renonce en 1937 à entrer à l'Ecole normale d'instituteurs. Après sa démobilisation, il adhère en 1945 au Parti communiste algérien (PCA). En 1948, il devient rédacteur en chef du journal Liberté, organe central du PCA, entre à son secrétariat en 1951 et est en 1953 condamné à deux ans de prison par les tribunaux coloniaux pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Demeuré dans la clandestinité durant toute la guerre de libération nationale, Bachir Hadj Ali négocie en 1956 avec Sadek Hadjeres l'intégration à titre individuel dans l'ALN des Combattants de la libération, organisation militaire des communistes algériens, créée en 1954, dont il est responsable. Il prend alors la direction du PCA. Après l'Indépendance le président Ben Bella interdit en novembre 1962 le PCA. Bachir Hadj Ali est, auprès de Mouloud Mammeri, Jean Sénac, Mourad Bourboune, l'un des fondateurs de l'Union des écrivains algériens, dont il démissionne en 1963. Après la prise du pouvoir par Houari Boumediène le 18 juin 1965, il crée avec la gauche du FLN, Hocine Zahouane et Mohammed Harbi l'Organisation de la Résistance populaire (ORP). Il est en septembre arrêté et torturé dans les locaux de la Sécurité militaire à Alger. Transféré en novembre à la prison de Lambèse, il écrit L'Arbitraire sur des feuilles de papier toilette qu'il parvient à transmettre, dissimulées dans des cigarettes évidées, à sa femme Lucette Laribere lors de ses visites. Le texte qui décrit les tortures qu'il subit, et dont il conservera de graves séquelles, est publié en 1966 aux Editions de Minuit. Libéré en 1968, Bachir Hadj Ali est assigné à résidence à Saïda puis à Aïn Sefra. Interdit de séjour dans les grandes villes algériennes, il ne regagne Alger qu'en 1974. Ecrivant poèmes et essais, Bachir Hadj Ali, fondateur en 1966 du Parti de l'Avant-Garde Socialiste (PAGS), mène dès lors une intense activité, interrompue à partir de 1980 par une perte progressive de la mémoire. Il meurt à Alger le 8 mai 1991.