Un texte raffiné et épuré, qui reprend un pan de notre histoire et raconte sans fioritures, avec des mots simples qui vont droit au cœur, les hauts et les bas d'une vie faite de foi en la liberté et la justice. Lorsqu'on devient parent alors qu'on n'est plus tout à fait jeune, on voue un amour inconditionnel pour son enfant. On lui témoigne une passion sans bornes, on lui pardonne tous ses excès, et on le traite comme un objet fragile qu'on pourrait casser. Pour Lucette Larribère Hadj Ali, cet enfant tant choyé et aimé est l'engagement qu'elle a découvert tardivement, ce qui ne l'a certes pas empêchée de militer toute sa vie pour les causes justes, notamment la cause algérienne. C'est ce qu'elle relate, en tout cas, dans son ouvrage-témoignage, “Itinéraire d'une militante algérienne”. Un texte raffiné et épuré qui reprend un pan de notre histoire et raconte sans fioritures, avec des mots simples qui vont droit au cœur, les hauts et les bas d'une vie faite de foi en la liberté et la justice. Lucette Larribère Hadj Ali raconte l'Algérie du siècle dernier, la difficulté d'être algérien durant la colonisation, l'abjection du fait colonial, l'engagement et le militantisme de beaucoup d'Algériens pour la justice et la dignité. Lucette n'est pas une super héroïne aux pouvoirs extraordinaires, c'est plutôt une femme ordinaire qui a pris conscience d'un certain nombre de valeurs humaines et qui a compris que le militantisme était quelque chose de nécessaire. “Ce qui frappe aussi dans le témoignage de Lucette Hadj Ali, c'est à la fois le courage, la franchise, la sincérité, la simplicité avec lesquels elle parle”, résume Abdelkader Guerroudj, ancien condamné à mort de la Guerre d'Algérie, dans sa préface. Et il vrai que l'auteure de ce texte court et dense affiche une grande liberté de ton, mais se dessine en toile de fond une grande tendresse. Née à Oran en 1920, Lucette Larribère y vit une grande partie de sa vie avant de rejoindre Alger et son université. Et jusque-là, écrit-elle à la page 15, “ je n'ai jusqu'alors pas pris conscience du fait colonial (…) Cet aveuglement a certes été en partie conditionné par l'environnement social qui était le mien à Oran dans ma jeunesse.” Car, “en 1940, la population oranaise était en majorité européenne, contrairement à ce qui se passait à Alger”. En 1938-1939, Lucette Larribère Hadj Ali entame, à Paris, des études en histoire-géographie, mais avec le début de la Seconde Guerre mondiale, elle retourne en Algérie et reprend ses études à Alger. Après avoir dispensé des cours dans des lycées privés, Lucette est d'abord engagée dans l'agence France-Presse et c'est là qu'elle rencontre Henri Alleg qui y travaillait comme traducteur. Elle travaillera également à la rédaction de Liberté (un hebdomadaire du Parti communiste algérien), avant de rejoindre Femmes d'Algérie, le mensuel de l'Union des femmes d'Algérie (UFA). Début 1952, Lucette Larribère Hadj Ali fera partie de la “grande aventure” d'Alger Républicain. Une année après le déclenchement de la guerre de Libération, le Parti communiste algérien a été dissous, “et ses dirigeants sont aussitôt entrés dans la clandestinité”. Par ailleurs, “n'ayant pas réussi, en dépit de multiples tentatives, à obtenir du FLN l'incorporation des communistes dans les katibate de l'ALN, le parti se résigna, en juin 1955, à organiser ses propres groupes armés, les ‘Combattants de la Libération' (les CDL) dont la direction était composée de Bachir Hadj Ali, Sadek Hadjiérès, et Jacques Salort” (Pages 85 et 86). C'est le 1er juillet 1956 que le PCA a pu rejoindre le FLN avec la signature des accords FLN-PCA (“signatures de Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjiérès pour PCA, d'Abane Ramdane et Benyoucef Benkheda pour le FLN”). L'angoissante clandestinité Lucette, qui devient un agent de liaison, entre par la suite dans la clandestinité et vit des moments difficiles. Des moments de doute, de stress et d'angoisse, qui éloignent le sommeil et attirent l'anxiété. Malgré cela, elle vivait une forme d'exaltation, un enthousiasme, une foi en une idée. Elle concède, toutefois, à la page 111, que “bien des années plus tard, me remémorant cet enthousiasme délirant, empli de folles espérances, j'ai saisi l'ampleur des désillusions ressenties, dont on peut espérer peut-être qu'un jour elles seront effacées”. En outre, cet ouvrage est une occasion de rappeler les sacrifices de ceux dont on ne parle pas, peu ou plus. Une manière pour Lucette Larribère Hadj Ali de leur rendre hommage et de nous rappeler une chose d'une importance capitale : le rêve. En effet, les hommes et les femmes dont elle parle ont, tout comme elle, rêvé d'un pays libre, et pour y parvenir, ils n'ont ménagé aucun effort et, très souvent, donné leur vie. Et d'ailleurs, ce qui serait criminel dans tout cela est de tuer leur souvenir ! L'auteure se souvient d'Alice Sportisse, Gaby Gaminez-Bénichou, Baya Allaouchiche, Abbassia Fodhil, mais également de Fernand Yveton, “condamné à mort puis exécuté”, Jacqueline et Djillali Guerroudj, Henri Maillot, Raymonde Peschard…etc. En plus d'une postface, en annexe, on retrouve un poème de Kateb Yacine et un texte d'Henri Alleg sur l'aventure du journal, Alger Républicain, dont la trajectoire a croisé et s'est confondu avec le destin de tout un peuple. Lucette Larribère Hadj Ali nous conte son histoire. Une histoire touchante, troublante de sincérité. C'est là le parcours de toute une vie, faite de rencontres, parfois de drames, mais surtout d'une foi en des idées, en un idéal de justice et de liberté. Itinéraire d'une militante algérienne, de Lucette Larribère Hadj Ali. Témoignage, 132 pages, éditions du Tell, 550 DA.