Les agences de presse internationales étaient suspendues hier aux résultats de la visite surprise à Beyrouth de la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice. Annoncée par les agences de presse sous le sceau de l'urgence, la déclaration de Mme Rice faite à bord de son avion à destination de Beyrouth estimant « urgent un cessez-le-feu au Liban » a suscité espoir et interrogations à la fois. Espoir, car c'est la première fois depuis le début de l'agression israélienne qui entre dans sa deuxième semaine que les Etats-Unis envisagent une telle option. Depuis le début du conflit, les Américains se sont montrés farouchement opposés à tout appel au cessez-le-feu même lorsque l'armée israélienne a franchi la ligne rouge en lançant des raids d'une rare sauvagerie contre les populations civiles et les infrastructures vitales du Liban. La disponibilité nouvelle affichée par Washington pour appeler à un cessez-le-feu immédiat de la guerre contre le Liban, alors que les données militaires sur le terrain n'ont pas fondamentalement changé dans la mesure où le Hezbollah n'est ni neutralisé ni chassé de la frontière israélo-libanaise, apparaît pour le moins suspecte. Il faudra attendre les prochains jours pour voir plus clair dans cette nouvelle position des Américains. Mais il est permis d'oser déjà quelques grilles de lecture pour tenter de comprendre le sens et la portée pratique de la nouvelle carte que Condoleezza Rice vient de sortir de sa manche en défendant l'idée d'un cessez-le-feu immédiat au Liban. Il faut dire que les Etats-Unis qui ont déjà bien du mal à soigner leur image de marque auprès des opinions arabes et des forces éprises de paix à travers le monde en dépit de l'injection de millions de dollars dans des opérations de marketing politique ont tout fait dans cette guerre pour ternir encore davantage leur réputation. Les manifestations de dénonciation de l'agression israélienne contre le Liban et de soutien au peuple libanais et au Hezbollah organisées dans certaines capitales arabes – y compris dans des pays tels que la Jordanie et l'Egypte, pourtant alignées sur la position américaine – mais aussi un peu partout dans les pays musulmans et ailleurs ont certainement amené les Américains à réfléchir sur les conséquences de leur soutien aveugle au plan de destruction du Liban par l'armée israélienne. Tant que les bombardements visaient les positions du Hezbollah, le conflit était pour les Américains politiquement gérable, d'autant que le Hezbollah figure sur la liste des organisations terroristes établie par les Etats-Unis. Appels au cessez-le-feu Mais à mesure que l'armée israélienne étendait son champ d'intervention, que tombaient des victimes civiles sous le déluge des bombes, que les infrastructures vitales du Liban étaient réduites en cendres les unes après les autres et que se précisaient les premiers signes d'une catastrophe humanitaire, les Américains ne pouvaient pas continuer à demeurer indéfiniment sourds aux voix de plus en plus persistantes qui s'élèvent un peu partout dans le monde pour exiger la fin de l'agression israélienne. Même leurs alliés arabes les plus zélés ne s'embarrassent plus de demander aux Américains d'appeler à un cessez-le-feu. C'est ce que le ministre saoudien des Affaires étrangères Saoud Al Fayçal est allé plaider hier à Washington auprès du président Bush. La Jordanie et l'Egypte ont également joint leur voix dans ce sens. Face à la colère de la rue arabe que les dirigeants arabes ne peuvent pas contenir longtemps tant les images qui proviennent du Liban sont insoutenables, les Américains laissent croire qu'ils sont enfin prêts à lancer un appel au cessez-le-feu, mais selon certaines conditions que le Hezbollah avait déjà énergiquement rejetées. Mme Rice a révélé certaines de ces conditions dont elle a précisé qu'elles « avaient été discutées avec les Nations unies, les Israéliens et les Libanais ». Il s'agit entre autres de la nécessité pour le gouvernement libanais d'étendre sa souveraineté sur l'ensemble des ses territoires et d'empêcher le Hezbollah d'utiliser ses territoires pour « entraîner le Liban et la région dans une guerre ». Mme Rice s'est déclarée hier très inquiète pour la situation humanitaire au Liban dans une déclaration à la presse à sa sortie d'une rencontre avec le président chiite du parlement libanais Nabih Berri avec lequel elle a examiné le dossier des prisonniers. Mais elle n'est pas revenue, du moins publiquement, sur l'appel au cessez-le-feu dont elle avait soutenu le principe avant son arrivée à Beyrouth. Le projet a-t-il avorté après que Condoleezza Rice ait pris la température sur place à Beyrouth et pris connaissance des réactions certainement mitigées ou hostiles selon le cas à l'appel au cessez-le-feu conditionné des Américains ? Ou bien réserve-t-elle l'effet d'annonce à la conférence sur le Liban qui doit se tenir mercredi prochain à Rome ? Les observateurs politiques et les stratèges militaires s'accordent à dire que l'offensive militaire israélienne qui en est à son treizième jour mobilisant toute la machine de guerre israélienne – l'aviation, la marine et les forces terrestres – n'a pas atteint ses objectifs, ni au plan politique ni au plan militaire. Et c'est ce qui semble inquiéter Israël et ses alliés américains et européens qui tenteront à Rome de ménager une porte de sortie à Israël.