Le traitement pour le moins inquiétant de ces deux affaires par les deux plus importantes cours du pays, Alger et Oran, montre que la réforme tant vantée par les pouvoirs publics n'a pas extirpé le mal profond qui gangrène la justice algérienne marquée par des aberrations les plus inexpliquées. La première affaire concerne le scandale de la Banque commerciale et industrielle d'Algérie (BCIA), appartenant à la famille Kherroubi. Il a éclaté en juin 2003, lorsque l'agence régionale de la Banque extérieure d'Algérie (BEA) s'est rendue compte qu'elle avait escompté des traites d'un montant de 132 milliards de dinars (selon le parquet d'Oran) avalisées et garanties par la BCIA sans que la marchandise ne soit réceptionnée. Sur la liste des bénéficiaires de ces traites figurent les noms de nombreux opérateurs économiques très connus sur la place d'Oran et domiciliés à la BEA, alors que les débiteurs des traites sont tous clients de la BCIA. Lorsque la BEA a réclamé l'encaissement de ces traites, la date butoir était largement dépassée, ce qui l'a déchu de son droit de se faire payer auprès de la BCIA. Ce qui n'était donc qu'un litige commercial banal s'est transformé en un immense scandale financier qui a ruiné la banque privée et toutes les autres sociétés appartenant au même patron. Dans cette affaire, 68 personnes ont été présentées au parquet d'Oran en 2003, dont une trentaine a été placée en détention préventive, 11 sous contrôle judiciaire, 8 en liberté provisoire et 16 autres étaient en fuite. Près de deux ans plus tard, la chambre d'accusation a renvoyé le dossier devant le tribunal criminel. Les mis en cause ont introduit un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, laquelle a rejeté 34 et accepté 2 d'entre eux, ceux des deux fils Kherroubi, Chakib et Badreddine, qui occupaient le poste de membres du conseil d'administration de la banque privée. La Cour suprême a cassé, le 3 juillet dernier, l'arrêt de la chambre d'accusation d'Oran au motif que les arguments sur lesquels se base ce dernier ne reposent sur aucun fondement. Ce qui, selon la Cour suprême, dénature les faits par manque de justificatifs. La haute instance judiciaire a donc renvoyé les deux dossiers devant la chambre d'accusation autrement composée, qui au vu de la loi, se devait de prendre acte de se conformer à l'avis ainsi notifié. A la surprise générale, les deux Kherroubi ont été renvoyés devant le tribunal criminel au même titre que les 34 autres prévenus, au motif que les deux mis en cause étaient des membres du conseil d'administration. Une telle décision a suscité de lourdes interrogations au sein de la corporation des avocats, parce qu'elle remet en cause tout le système juridique, censure et désavoue la plus haute instance judiciaire de l'Etat. « Les attendus de la Cour suprême sont clairs et précis et ne peuvent être remis en cause par la cour d'Oran », a déclaré un membre du collectif des avocats constitué dans cette affaire, laquelle, faut-il le rappeler, a fait l'effet d'une bombe à la cour d'Oran. Tout comme celle de Salim Troudi, cet opérateur qui a défrayé la chronique, avec le scandale de l'importation, puis l'exportation, puis la réimportation de la tomate concentrée en 1996. Condamné dans plusieurs autres affaires liées à des opérations commerciales, Salim Troudi, après avoir bénéficié de mesures de grâce, devait terminer sa plus lourde peine, jeudi dernier, soit le 21 juillet. Il lui restait à assainir un dossier d'instruction près le tribunal de Bir Mourad Raïs, qui a ordonné une expertise, alors que le parquet a requis le mandat de dépôt. L'expertise étant au profit de Troudi, le juge a refusé le mandat de dépôt requis par le ministère public, ce qui a poussé ce dernier à faire appel auprès de la chambre d'accusation. Le lendemain, soit le jeudi matin, la chambre d'accusation s'est réunie sans même informer la défense du prévenu, et infirmé l'ordonnance du juge d'instruction avant d'ordonner le mandat de dépôt. Une célérité jamais observée dans la justice, laissant les avocats de Troudi perplexes. Pour eux, il s'agit d'une violation des dispositions du code de procédure pénale qui garantissent le droit à la défense. « Cette célérité avec laquelle l'affaire a été tranchée est très suspicieuse. De plus, lorsque le dossier passe devant la chambre d'accusation, les avocats des parties sont informés 5 jours à l'avance dans le but de laisser suffisamment de temps à la défense pour préparer les mémoires écrits ou oraux et développer les observations autour de l'affaire. Or, dans le cas de Troudi, les avocats ont appris la programmation de l'affaire à la chambre d'accusation qu'une fois le dossier tranché et dans les couloirs du palais de justice. C'est un scandale sur lequel il ne faut surtout pas se taire, parce qu'il y va de la protection des droits à la défense... », a déclaré un membre du collectif de la défense de Troudi. Pour l'instant, des contacts sont en train d'être entrepris pour dénoncer cette situation au plus haut niveau. Ainsi, les deux affaires traitées par les deux plus grandes cours du pays, Oran et Alger, montrent malheureusement que la justice dans notre pays reste encore loin des normes de l'équité. La discussion dans les couloirs des tribunaux est, depuis une semaine, braquée sur ces deux affaires.