Historien engagé et militant actif jusqu'au bout. L'historien Pierre Vidal-Naquet, intellectuel engagé, notamment contre la torture pendant la guerre d'Algérie, est décédé dans la nuit de vendredi à samedi à l'âge de 76 ans à l'hôpital de Nice. Il était dans le coma depuis lundi à la suite d'une hémorragie cérébrale. Fils d'un avocat entré très tôt dans la Résistance pour ne pas devenir « un juif errant », Pierre Vidal-Naquet était docteur ès lettres et agrégé d'histoire. Il a consacré ses recherches à la Grèce antique, l'histoire juive et l'histoire contemporaine. Sa dernière prise de position remonte à la loi sur « les aspects positifs » de la colonisation. « L'histoire n'est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n'appartient ni au Parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l'Etat, même animée des meilleures intentions, n'est pas la politique de l'histoire », s'était-il insurgé. L'historien engagé récuse toute vérité d'Etat, histoire officielle. « C'est cette même haine de l'histoire officielle qui l'avait poussé à dénoncer la loi Gayssot contre le négationnisme, lui qui a pourtant combattu sans relâche les théories de Robert Faurisson et de ses épigones. Pour lui, le métier d'historien était une conception du monde, et la recherche de la vérité, un combat, qui pouvait dans certains cas amener à une forme de paradoxale ‘‘trahison'', tant il faut se méfier de ses sources, garder la distance avec son objet, ne pas céder à la facilité ni à la démagogie, ne pas se laisser emporter par les préjugés », note très justement Libération. Algérie, Liban et Irak Jamais en retrait de l'actualité, il est intervenu dans la plupart des grands débats des dernières décennies. Dénonciateur de la torture durant la guerre d'Algérie, adversaire du pouvoir des colonels en Grèce, il multipliera pétitions, lettres à la presse, création de comités de soutien, intervenant sans relâche dans les principaux dossiers judiciaires et politiques. En 1982, il arpentait les rues de Paris pour manifester contre les bombardements d'Israël déjà sur le Liban. Il manque cruellement aujourd'hui aux pacifistes et aux opposants à la guerre que mène l'Etat hébreu contre le pays du Cèdre. « Nous avons honte dans la mesure où les juifs s'identifient à un Etat conquérant. Oui, nous avons honte. Mais nous sommes fiers aussi d'autres traditions qui existent dans le judaïsme et qui ne se résument pas à l'extermination des peuples soumis », disait-il en 1982. Aujourd'hui, après le massacre de Qana, où 37 enfants ont trouvé la mort, ces paroles sonnent encore comme un testament posthume. Celui qui se définit comme « un homme passionné qui s'engage, doublé d'un historien qui le surveille de près, enfin, qui devrait le surveiller de près », a été de tous les combats. Juste après la guerre d'Irak, contre laquelle il s'était opposé, il a rappelé la continuité de l'histoire. « Avant d'être déporté, mon père a été torturé par la Gestapo à Marseille. L'idée que les mêmes tortures puissent être infligées d'abord en Indochine et à Madagascar puis en Algérie par des officiers ou des policiers français m'a fait horreur. Mon action n'a pas d'autres sources que cette horreur absolue. En un sens, il s'agit de patriotisme. Quant à la guerre en Irak, oui, j'y suis absolument opposé. Je ne pense que du mal de Saddam Hussein, mais si on fait la guerre à l'Irak, on risque de déclencher une catastrophe mondiale. Et je tiens George Bush pour un fou dangereux, qui de plus bafoue la loi internationale. » Il a été l'un des premiers à dénoncer la torture en Algérie. Pour ceux qui tentaient de mettre sur un pied d'égalité le FLN de l'époque et l'armée française, il répondait ironiquement : « On nous parlait beaucoup des exactions des rebelles et fort peu des atrocités pourtant infiniment plus nombreuses qui étaient celles de nos compatriotes. »