Ils étaient peu nombreux, mais représentatifs des tranches d'âge et des catégories sociales. Ils ont tous souffert directement ou indirectement de la drogue. Des mères, des pères d'adolescents toxicomanes, des jeunes, filles et garçons, mais aussi d'autres, plus âgés, qui ont réussi à s'extirper de la toile de cette dangereuse araignée qu'est la drogue. Ils racontent leur histoire dramatique pour qu'elle serve de leçon. Des témoignages poignants, des propos lourds de sens, des cris du cœur accablants ont été entendus lors du colloque national consacré à la prévention de la drogue, organisé mercredi et jeudi derniers à Alger, par l'Office national de lutte et de prévention contre la drogue et la toxicomanie (ONLPDT). Ce sont d'anciens toxicomanes et leurs parents qui se sont succédé à la tribune pour raconter leur douloureuse expérience, mais surtout pour parler de leur victoire sur la drogue. Premier témoignage, d'une maman : «J'étais très sévère avec mes enfants et l'un d'eux n'était pas comme les quatre autres. Je ne le comprenais pas. Je surveillais tous ses gestes, ses sorties, son téléphone, etc. Un jour, j'ai appris qu'il se droguait. Ce fut un choc pour moi. J'ai décidé de l'aider à s'en sortir. J'ai changé mon comportement avec lui, je l'ai emmené au centre de Fouka où il a été pris en charge jusqu'à sa guérison. Je me rends compte aujourd'hui que la rigueur et la sévérité donnent l'effet inverse dans le comportement des enfants.» Un autre témoin passe au micro ; c'est un père de cinq enfants, tous instruits. Mais un jour, le plus jeune est interpellé par la police avec un joint de cannabis. Le père s'effondre. Il change de maison, de quartier pour éloigner ses enfants des dealers. «J'ai découvert par la suite que trois de mes enfants étaient accros. Le monde s'écroulait sous mes pieds. J'ai beaucoup souffert pour les soigner au centre de Fouka. Je me sentais perdu. Est-ce que j'ai failli dans ma mission de père ? Que dois-je faire ? Avec qui vais-je parler ? Autant de questions auxquelles je n'ai pas trouvé de réponses jusqu'au jour où j'ai découvert le centre…» Un témoignage très émouvant, celui de cette femme fait preuve de beaucoup de courage : «J'ai subi les affres de la drogue durant 25 longues années. J'ai fumé mon premier joint à l'âge de 14 ans. Je suis passée par de nombreux hôpitaux et médecins, mais personne n'a pu me guérir. C'est au centre de Fouka que j'ai été délivrée de cette maladie.» Enseignante, une mère de quatre enfants raconte elle aussi le vécu dramatique de son fils, qu'elle n'a jamais soupçonné d'une quelconque déviance : «J'ai subi le divorce, la brutale séparation, la douleur et la souffrance toute seule. J'ai eu très peur lorsque j'ai appris que mon plus jeune fils se droguait. J'ai passé trois mois avec lui pour qu'il se soigne. Il s'en est sorti et j'en suis fière. Pour moi, l'école n'éduque pas. Je suis enseignante et je sais que nous avons eu les meilleurs programmes d'instruction, sans pour autant éduquer nos enfants. A l'école, les plus indisciplinés ne sont jamais sanctionnés. J'ai quitté mon travail parce que je n'ai pas pu protéger une adolescente qui a été agressée par un voyou au sein de l'établissement. La déviance commence à l'école et personne ne semble en être conscient.» Une autre mère lui emboîte le pas ; elle raconte : «J'ai deux filles énarques, deux garçons à l'université et deux autres garçons, des jumeaux, au lycée. Ils avaient un comportement exemplaire et j'avais l'œil sur tout ce qu'ils faisaient. Le jour où la police m'a appelée pour me dire que l'un des jumeaux avait été arrêté avec un joint de kif, le monde s'est écroulé autour de moi. Jamais j'aurais cru que la drogue pouvait entrer dans ma famille. J'ai dû changer totalement mon comportement avec mes enfants, surtout lorsque j'ai appris que les jumeaux, ainsi que mon cadet, fumaient de la drogue. J'ai d'abord vendu mon appartement pour terminer la construction d'une maison. Mais quelque temps après, j'ai vendu celle-ci parce que dans le quartier où elle était située, la drogue se vendait à chaque coin de rue. Dieu merci, j'ai pu sauver mes enfants grâce au personnel du centre de Fouka. Je me suis remise en cause, me demandant si j'avais failli quelque part en éduquant mes enfants. Je me demandais souvent pourquoi les enfants n'ont peur de rien et pourquoi nos enfants ne sont plus en sécurité ni à l'école ni dans le quartier.» De lourdes interrogations sont posées également par ce jeune homme qui lui succède au micro. Sa vie, dit-il, a été un enfer avant qu'il ne rencontre les médecins du centre de Fouka. «J'ai tout essayé : le LSD, le crack, la cocaïne, l'héroïne, la colle… si j'y passe des mois, je ne finirais pas de vous raconter l'enfer que j'ai vécu. J'étais devenu un moins que rien, une loque humaine, un animal, un sauvage vivant dans une forêt. Lorsque j'ai été au centre de Fouka pour la première fois, je n'avais aucun espoir d'être délivré de la drogue. La cure a été très longue, extrêmement difficile, mais la fin a été salvatrice pour moi et ma famille. Aujourd'hui, je sens que j'ai vécu un miracle. Je renais de mes cendres. Je ne souhaite à personne de vivre mon expérience. Si je suis là, c'est pour que mon histoire serve de leçon aux jeunes et que mon expérience soit entendue par ceux qui sont pris au piège de la drogue. Tant qu'il y a de la volonté, il y a l'espoir de vaincre cette maladie.» Ce jeune homme laisse perplexe l'assistance, qui l'applaudit chaudement. La quarantaine largement dépassée, cette maman, institutrice de son état, est très émue. Elle aussi est passée par cette rude épreuve, accompagnant son fils durant les mois de désintoxication. Elle laisse les participants au colloque sans voix lorsqu'elle commence son témoignage : «Je sais que ce n'est pas un honneur d'avoir un enfant toxicomane. Par contre, c'est un honneur pour moi d'avoir sauvé mon fils de la drogue…» Elle est interrompue par les ovations de l'assistance. «Moi qui éduque les enfants des autres, jamais je n'aurais pensé que mon fils, ce garçon studieux, calme, organisé, qui ne fumait jamais devant moi, puisse un jour tenir un joint de kif. Lorsque j ai appris qu'il se droguait, au début, je n'y ai pas cru, plutôt j'ai refusé d'y croire, puis j'ai fini par prendre conscience de la gravité de la situation. Je voyais mon fils se consumer. Il fallait que je réagisse et que je fasse quelque chose pour le récupérer. Lorsque j'ai été au centre, j'ai rencontré des gens qui m'ont redonné espoir. J'ai souffert durant des mois avant de voir mon fils enfin libéré de cette maudite herbe. Je voudrais que mon expérience et celle de mon enfant soient connues par tous ceux qui souffrent encore de ce fléau, afin qu'ils sachent que cette maladie n'est pas incurable. Nous pouvons nous en débarrasser pour peu qu'il y ait de la volonté…» Si cette mère a extériorisé sa douleur de voir son enfant se consumer comme ce joint qu'il fume, d'autres souffrent en silence. La prolifération inquiétante de la drogue, y compris dans les milieux les plus sacrés comme les écoles, les lycées, les universités et même la famille, fait qu'aujourd'hui, personne ne peut se targuer d'être épargné par ce fléau. Dépassé, l'Etat n'arrive pas à arrêter l'introduction massive de cannabis qui menace la sécurité du pays ; il semble même incapable de mettre en œuvre une politique bien définie pour la prise en charge des toxicomanes. Ce qui n'augure rien de bon pour une large frange de la population, notamment juvénile.