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Les médecins du travail, déplorent la méconnaissance des cancers professionnels en Algérie Lamya Tennci. Spécialité en sociologie de la Santé, doctorante et chercheure associée à l'Unité de recherche en sciences sociales et santé/GRAS
Le cancer professionnel, un mal dont l'évolution épidémiologique très préoccupante continue de décimer des vies humaines. Une maladie bien présente mais malheureusement immergée dans une «invisibilité sociale». Tennci Lamya, Doctorante et chercheure associée à l'Unité de recherche en sciences sociales et santé (GRAS), tente à travers son travail de recherche de démontrer l'état de la connaissance et de la reconnaissance des cancers d'origine professionnelle en Algérie. -Qu'est-ce qui a motivé votre choix pour le sujet, celui du cancer professionnel ? Le choix de travailler sur le cancer professionnel et de lui consacrer une thèse s'est constitué en fait progressivement. D'abord, la conviction personnelle que le cancer d'une manière générale est un problème de santé publique qu'il est possible d'éradiquer complètement si on s'y prend bien sûr rapidement, qu'on y mette une volonté à tous les niveaux de la société, y compris avec les hautes autorités du pays et de mettre en application toutes les dispositions nécessaires, notamment préventives. Ensuite, au cours d'une recherche précédente sur le cancer de l'enfant et mon implication aux côtés des enfants malades et de leur famille. J'ai constaté deux choses : la première, c'est que la recherche de l'étiologie du cancer est complètement absente face à la gravité de la maladie, il est plus urgent de traiter la maladie que de s'occuper de ses causes. Il est vrai qu'aujourd'hui il est difficile de se prononcer sur la causalité du cancer étant donné la présence de plusieurs facteurs de risque (tabagisme, obésité, facteur génétique…), mais cela ne doit pas empêcher de prendre cette constatation comme irrévocable, cela devrait au contraire impulser la recherche et la réflexion, d'autant plus qu'on vit dans une société marquée par la globalisation et l'économie du marché. La deuxième chose concerne des éléments liés à l'expérience des familles et des mères en particulier, confrontées à la maladie de leur enfant. Lorsque les médecins annonçaient qu'un enfant avait le cancer, les mères réagissaient immédiatement de façon catastrophée (cela se comprend) : pourquoi mon enfant ? Qu'est-ce que j'ai pu faire pour qu'il tombe malade…? Cette recherche de la responsabilité de la maladie m'a profondément marquée, et plus encore je dirais même que cette recherche de sens trouvait son apaisement à travers la résignation au destin «El Mektoub» et à «Dieu». C'est comme si, d'une certaine manière, ces mères étaient convaincues que le cancer venait bien de quelque chose. C'est alors que l'idée d'une cause extérieure, d'une origine – professionnelle – commençait à germer… -Combien de personnes sont atteintes du cancer professionnel en Algérie ? Concernant cette question, il semblerait qu'il y ait un vrai problème, car actuellement on dispose vraiment de très peu de chiffres concernant le nombre de personnes probablement atteintes de cancer professionnel. Je dirais même qu'il y a absence de statistiques concernant l'incidence de ce type de cancers. Par contre, il faut savoir que le cancer professionnel se caractérise par un temps de latence très long dépassant les 40 ans, c'est-à-dire que la survenue du cancer professionnel chez une personne est très longue après la première exposition à un ou plusieurs facteurs cancérogènes. Cette difficulté ne devrait pas laisser entendre qu'il y a absence de cancers professionnels, mais cela veut dire simplement qu'il y a réellement une méconnaissance de l'ampleur du problème et tout mon travail consistera à tenter de comprendre les raisons de cette méconnaissance. -Quelles sont les principales causes de cette maladie (agents cancérogènes, les substances chimiques) ? Il y a différentes substances cancérogènes pouvant entraîner un cancer. Les plus connues d'entre elles sont l'amiante, le benzène, la silice, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, certains métaux, les poussières de bois, les fumées de soudage, les rayonnements ionisants, le chlorure de vinyle, etc. On peut se référer pour cela aux tableaux des maladies professionnelles publiés dans le Journal Officiel n° 16 de l'année 1997. L'utilisation également de produits chimiques en milieu professionnel est malheureusement une réalité bien présente selon plusieurs spécialistes en médecine du travail, qui demandent à être identifiés régulièrement. -Quels sont les principaux cancers d'origine professionnelle? D'après quelques études réalisées, on retrouve surtout les cancers bronchopulmonaires, les cancers de la vessie, les cancers ORL et certaines leucémies. Le cancer du mésothélium pleural (des poumons, ndlr) a cette particularité d'être causé directement par l'inhalation des poussières d'amiante. Il faut rappeler aussi que dans la réglementation algérienne, on parle de maladies présumées être d'origine professionnelle, ce qui a pour conséquence de renforcer le doute et de compliquer la tâche. Encore une fois, on dispose aujourd'hui de très peu de données et d'études sur le sujet. -Quelles sont les personnes les plus exposées au cancer professionnel ? Ce sont les employés exerçant dans les secteurs d'activité de l'industrie mécanique, l'industrie électrique, le secteur de la construction et du BTP, les cimenteries, les entreprises de fabrication du fibrociment, l'industrie du textile, du caoutchouc, du plastique et du bois, la métallurgie et la transformation des métaux et le secteur de la santé… -Vous dites que le cancer professionnel et le reflet des inégalités sociales. Que voulez-vous dire par là ? Je dis cela en référence à des recherches menées en France et ayant abordé la question des cancers professionnels, notamment les travaux de la sociologue Annie Thébaud-Mony. Elle a démontré que de fortes inégalités et disparités existent entre les ouvriers et les cadres ou professions intellectuelles. Le taux annuel de mortalité précoce par cancer en France est 10 fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres et les professions intellectuelles. Je pense que ce type de données peut également être constaté en Algérie dans la mesure où des éléments sur les déterminants socioprofessionnels pourront être intégrés immédiatement lors du diagnostic et dans les registres du cancer. -Comment les médecins du travail perçoivent-ils la maladie ? Pour les médecins du travail, ils déplorent également la méconnaissance et la sous-estimation des cancers professionnels en Algérie. Ils se retrouvent alors confrontés à la situation où le cancer se déclenche bien après la retraite. S'ajoute à cela que le cancer professionnel n'a pas de spécificité particulière qui le distingue des autres cancers non professionnels, la présence d'autres facteurs de risque n'arrange pas les choses et la multi-exposition à plusieurs agents chimiques rend difficile l'identification du cancer. Une contradiction est constatée entre le taux très faible de déclaration des cancers professionnels et les cas de cancers professionnel retrouvés au cours des consultations et des visites de travail. Ils appellent à une plus grande coordination entre l'ensemble des professionnels de la santé et les médecins du travail concernant l'identification de l'origine professionnelle du cancer.