Le statu quo politique et les nuages qui s'accumulent dans le ciel Algérie en matière économique inspirent de grandes inquiétudes à l'Union européenne, premier partenaire du pays. Bruxelles De notre envoyé spécial L'Algérie continue à troubler ses partenaires européens et à passer pour le cancre des processus de coopération politique et économique. Notre pays, «exportateur de stabilité» selon la formule infatuée de nos dirigeants, renvoie surtout l'image d'un Etat figé, ne sachant pas où il va et ce qu'il veut à un moment où les enjeux géopolitiques sont à l'aigu. Des sources auprès des structures du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) – un peu le gros ministère des affaires étrangères de l'UE – avouent aujourd'hui qu'on perd son latin à tenter de subodorer les intentions des autorités algériennes en matière de caps économiques et de choix politiques. Le discours reste diplomatique mais, poussés à la confidence, les mêmes sources confessent que l'avenir du pays fait peur à ces voisins du Nord, sérieusement échaudés par le désastre libyen et, plus loin, par les spasmes sans fin de la désespérante Egypte. Les députés européens, rencontrés à l'occasion d'une visite aux institutions de l'Union européenne organisée au profit des médias algériens, ne cachent pas leur inquiétude. Ceux notamment que leurs charges, au niveau des Délégations, amènent à s'intéresser au Maghreb s'ahurissent carrément du fait que l'absence d'alternative politique n'inquiète pas plus que cela en Algérie. De la précarité du cadre juridique régissant le champ d'action de la société civile (loi vue et revue sur les associations) à la fermeture du dialogue avec la classe politique, les autorités algériennes, pense-t-on, ont dangereusement dévitalisé les relais para-institutionnels qui structureraient au besoin une transition politique sans grand dommage. La crainte mi-dite mi-tue est de voir l'Etat s'effondrer et le chaos s'installer à des brasses de l'Europe. «Qui gouverne en Algérie ?» La visite au complexe politico-diplomatique de l'UE à Bruxelles a été certes précédée d'«événements» qui rebraquent les projecteurs sur notre pays : séjour médical grenoblois du président Bouteflika et chute retentissante des prix du pétrole notamment. L'angoisse dépasse désormais l'agacement vécu à lancer et relancer des dispositifs de coopération, à les voir pris dans les rets bureaucratiques ou reconfigurés selon les atermoiements doctrinaux de nos dirigeants. Qui succédera à Bouteflika et dans quelles conditions ? Quels sont les mécanismes et les centres de prise de décision ? Pour combien de temps la paix sociale fragile comptera encore sur les caisses du Trésor ?... En un mot, le partenaire européen couve une peur bleue de l'avenir immédiat du pays et s'effraie à l'idée de voir ses intérêts et sa sécurité menacés par un contexte d'instabilité aux conséquences imprévisibles en Algérie. Ces angoisses sont dûment portées aux oreilles des responsables algériens, dans les salons insonorisés des visites officielles, nous assure-t-on. Mais il semblerait que cet orgueil, qui se veut tout algérien, est tiré comme un joker pour couper court aux explications. Le froncement de sourcils, côté algérien, serait même activé lorsque ce sont les Algériens eux-mêmes qui ont à peu près conçu les termes de la démarche. Les discussions engagées en novembre dernier par la délégation de l'UE, conduite par Bernard Savage, avec la classe politique et la société civile, et qui a soulevé la colère de Saadani et de son FLN, non seulement étaient prévues dans l'Accord d'association, mais les dates des rencontres avaient été arrêtées par la partie algérienne. L'on regrette que la coïncidence fâcheuse (avec l'hospitalisation de Bouteflika à Grenoble) ait pu donner matière à interprétation, mais l'on jure par tous ses dieux, dans le temple du Parlement européen, que ce n'était qu'une coïncidence. L'épisode est symptomatique du potentiel tension dès qu'il s'agit de questionner le politique en Algérie, où tout se passe comme si une coopération économique pouvait se concevoir sans les paramétrages politiques. Et pour la coopération économique justement, les écueils seraient légion et les radars du partenaire européen brouillés par les approximations ou les accès d'orgueil (encore lui) côté algérien. Bazar économique Des aspects en dormance de l'Accord d'association, entré en vigueur en 2005, sont certes réactivés depuis peu, mais la posture lunatique des Algériens brouille les cartes, se plaint-on encore. L'on avouera en vrac que l'on ne sait pas trop ce qui est concrètement advenu de la fameuse règle des 49/51% ; ne pas comprendre que des sommes faramineuses soient allouées pour le développement du secteur agricole sans le nécessaire assainissement du marché dans lequel débouche le produit de la filière, que l'informel soit à ce point invasif et mine en profondeur toute démarche de relance économique... S'il est bien évident que l'on défend plutôt ses intérêts du côté européen et que l'on s'est donné les moyens de la position hégémonique, l'Algérie n'a que ses arguments en hydrocarbures à faire valoir pour vendre son statut de partenaire, quitte brouillant et indiscipliné. Un grand marché aussi. Un peu trop grand d'ailleurs et débridé au point où ses 30 000 importateurs, brassant gros dans la cagnotte ahurissante de plus 60 milliards de dollars d'importations annuelles, ont ouvert des couloirs exempts de tout contrôle avec la Chine notamment. En somme, on n'est pas loin de l'alerte, de l'autre côté de la Méditerranée. Les fastidieux réglages des points d'accord, de l'évaluation des seuils d'exécution des programmes et autres hiatus techniques qui caractérisent le partenariat entre les deux parties semblent passer désormais en souci accessoire face à l'inquiétude qu'inspire notre pays.