Sur le plan du vivre ensemble, la France craint d'y perdre des plumes, coq qui a perdu la boussole ? Lyon De notre correspondant L'année 2014 s'achève sur une quasi banalisation du racisme, institué en pensée comme une autre avec ses têtes d'affiche et ses vedettes. Parmi elles, bien évidemment Eric Zemmour, l'une des meilleures ventes de livres avec Le suicide français (Albin Michel). Il a terminé l'année par un nouvelle dérive en Italie, expliquant au journaliste de Corriere della Serra qui lui posait la question qu'il est tout à fait envisageable de rejeter de France les musulmans. Qu'on peut l'imaginer ! Peu de commentateurs ont cependant relevé que le chroniqueur viré d'I-télé avait ajouté : «Je sais, c'est irréaliste mais l'Histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 qu'un million de pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d'Algérie pour revenir en France ?» Ainsi, par cette phrase, le faiseur d'opinion montrait ce qui l'agite depuis des années, le ressentiment face à l'eldorado perdu, l'Algérie. Un ressentiment parmi d'autres, qui mine le lien social et le vivre ensemble. Plus abruptement, les sondages, études et enquêtes se sont multipliés ces derniers mois et tous pointent du doigt la difficulté d'accepter la composante immigration (entendue comme extra-européenne, le plus gros de l'immigration étant du reste devenue très européenne ces dernières années, crise oblige). Ainsi, au plan des religions, une étude Ipsos «Vivre-ensemble : entre unité et diversités», publiée dans un supplément du Monde le 2 décembre dernier, concluait que 51% des personnes interrogées avaient le sentiment «qu'aujourd'hui les différentes religions coexistent plutôt mal ou très mal». L'épisode 2014 du djihadisme international alimenté par un grand nombre de Français de toutes origines n'est pas fait pour apaiser les peurs. Les actes de déments en fin d'année, tel celui qui a attaqué un commissariat ou celui qui a foncé dans la foule aux cris d'Allah ou akbar, attisent des incompréhensions qui vont se reporter sur l'année 2015. Dans l'étude Ipsos, pour les différences qui paraissent les plus fortes, les différences culturelles ou ethniques sont mises en avant pour 31%, de même que les différences de religion au même taux. C'est sur cela qu'a surfé en fin d'année la volonté d'installer des crèches dans les lieux publics, en dépit de la loi sur la laïcité. Alors que le prisme social et médiatique tend à être obnubilé par un islam trop visible (voile, demandes de pratiques diverses), l'identité chrétienne est montée en épingle comme un support auquel s'accrocher de peur de perdre pied, même si la pratique religieuse catholique ou protestante est en baisse constante. C'est ce que dit le philosophe Michel Onfray, qui n'a rien d'un extrémiste de droite, mais qui répond à Marianne : «A quoi bon une laïcité respectant toutes les religions face aux revendications théocratiques consubstantielles à l'esprit prosélyte ? Ouverte ou fermée, la laïcité n'est plus l'instrument qui permettra aux démocraties de subsister face à ceux pour lesquels elle n'est pas une vertu, mais le vice même.» La crise économique qui entraîne une crise sociale Rien d'étonnant si ce message clairement réservé à la critique de l'islam passe, si l'on songe qu'Ipsos relève que 29% des personnes interrogées pensent que les extrémismes religieux (29%) et le repli communautaire (11%) «menacent aujourd'hui la capacité à bien vivre ensemble en France». A tel point qu'on annonce le nouveau roman de Michel Houelebeq Soumission, pour le 7 janvier 2015 : «Dans Soumission, le romancier imagine, il est vrai, l'accession au pouvoir en France, lors de l'élection présidentielle de 2022, de la Fraternité musulmane, un parti confessionnel auquel se sont ralliés, au second tour du scrutin, les formations politiques traditionnelles afin de faire barrage à l'extrême droite», écrit l'hebdomadaire culturel Télérama. Les élections départementales et régionales, au printemps et en automne 2015 traduiront cela dans les urnes avec une montée du vote extrémiste pour le Front national. D'abord parce que depuis des années, ce parti cultive le rejet des étrangers, et aussi parce qu'il critique, même si ce ne sont que des mots, le système économique capitaliste, et la mainmise européenne, premiers facteurs de division et de perte de repères, comme l'a bien montré cette année une excellente série documentaire, «Capitalisme», en six épisodes, sur la chaîne Arte. Car c'est bien l'aspect n°1 des inquiétudes des Français dans le contexte du «vivre ensemble» : la crise économique et financière, montrée du doigt principalement (40%) comme vecteur de démembrement social. Et 61% estiment que les plus grandes différences sont bien celles du niveau de vie. Les riches n'ayant jamais été aussi riches. Vice-versa pour les pauvres. On le comprend aisément puisque le taux de chômage n'a pas cessé d'augmenter en 2014 et pourrait atteindre 10,6% de la population active en 2015. Dans ce cas de figure de crise majeure, où se trouve la place de celui qui vient d'ailleurs, surtout s'il n'a pas la même culture ? 2015 ne donnera pas de réponse, mais on aura de sérieuses raisons de se poser des questions sur ce fossé qui se creuse.