Bien qu'ils soient nombreux à opter pour le chemin de retour vers leur pays d'origine pour les vacances, les émigrés ont été contrariés cette année. A Tizi Ouzou, qui est le premier fief de la communauté algérienne vivant à l'étranger, en France notamment, la majorité des émigrés repartira vers le pays d'accueil avec un sentiment de regret. Cette fois-ci, il semble que la conjoncture a été diamétralement en défaveur de ces émigrés qui, à l'accoutumée, préfèrent passer leurs vacances au bled pour des raisons économiques. La déception est due, en premier lieu, à la dépréciation de la devise européenne ; l'euro, qui vient d'atteindre son plus bas niveau depuis son lancement en 1999. Ces deux dernières semaines, en fait, la valeur d'un euro flotte autour des 90 DA sur le marché parallèle en Kabylie, ce qui fait regretter aux émigrés les moments d'euphorie de cette devise qui s'échangeait, il y a quelque temps, contre 120, voire 130 DA. Natif de Boghni, Hamid, la cinquantaine et établi dans l'Hexagone depuis un peu plus de trois décennies, est rentré au bled mi-juillet, en compagnie de sa femme et de ses deux filles. Interrogé sur son séjour au pays natal, c'est la désillusion qui se dégage des propos de cet employé de la maison Citroën que nous avons rencontré dans un café populaire non loin de son village : « Si nous avons décidé de passer nos vacances au village, c'est tout d'abord pour des raisons financières et, bien sûr, cela permettra aussi à mes filles de connaître les gens du bled. Car, sachez que si notre bourse nous le permettait, il aurait été préférable de prendre une autre destination pour de véritables vacances, comme la Tunisie ou l'égypte. C'est avec les économies de toute une année que nous venons de là-bas, mais, cette fois-ci, malheureusement, j'ai été totalement déçu quand je suis allé faire le change ici à Boghni. Pour 2000 euros, je n'ai eu que 184 000 dinars alors que l'année passée, la même somme je l'ai échangée contre 250 000 dinars. » Cette baisse de l'euro a ainsi contraint Hamid et sa famille à plus de rigueur dans la gestion de ce budget. Si l'euro stagne à son niveau actuel, Hamid a déjà la certitude que l'année prochaine « la majorité des émigrés ne rentrera pas au pays, à commencer par moi bien sûr ». Aux Ouadhias, Hocine, lui aussi, a dû revoir la programmation des vacances de sa famille à cause des restrictions budgétaires imposées par la baisse de l'euro. Au début, ce sexagénaire a prévu le rapatriement de toute sa famille, dont sa femme et ses cinq enfants, mais, avec la nouvelle tendance à la baisse de la devise européenne, il a décidé d'annuler le voyage de ses enfants pour rentrer uniquement avec sa femme. « Déjà les billets et les frais de rapatriement du véhicule nous reviennent chers, ajouter à cela la déperdition de l'euro. donc, il n'est pas du tout possible pour une famille de sept personnes de se permettre des vacances au bled », avoue ammi El Hocine, avant d'ajouter : « ma femme et moi avons maintenu notre voyage pour des raisons familiales. Nous sommes venus pour assister à des fêtes de famille et aussi pour régler les problèmes de notre maison en construction ici aux Ouadhias. » à l'image de cet employé des chemins de fer parisiens proche de la retraite, beaucoup d'émigrés rentrent au pays plutôt pour des affaires d'ordre familial que pour la villégiature. En revanche, ces derniers se sont privés de plusieurs activités distractives. Ils sont rares, par exemple, à séjourner dans les restaurants de luxe de la capitale du Djurdjura ou à louer en famille dans les hôtels des villes côtières, comme Tigzirt ou Azeffoun. La chute des cours de la monnaie européenne a provoqué, de facto, la diminution de l'apport des émigrés à la relance de l'activité commerciale dans la région. A Bouzeguène, réputée pour être la région qui compte le plus grand nombre d'émigrés à Tizi Ouzou, les commerçants ne cachent pas leur désappointement, somme toute imprévu. « Cette année, c'est la dèche », dira Karim, tenancier d'un magasin d'alimentation générale au centre de cette petite ville montagneuse qui doit sa survie à la contribution de la communauté émigrée, avant de s'étaler : « La reprise de l'activité commerciale que l'on attendait durant toute l'année n'a pas eu lieu cet été. Les émigrés dépensent moins du fait que la valeur de l'euro a baissé. » Il citera, en suite, l'exemple d'un émigré de sa connaissance qui, « depuis son arrivée au village, s'est rabattu sur les pastèques pour ses desserts, car elles sont moins chers. Alors que l'année dernière, il a toujours cherché les fruits de luxe sans même demander le prix ». Non loin de là, Hakim, bijoutier, regrette que la grande affluence des émigrés dans son magasin n'a pas eu lieu alors que ça fait deux mois qu'ils sont là. « Ils achètent moins cette année, pourtant ce sont des mordus des bijoux en argent », dira-t-il. Le rôle que joue la communauté émigrée dans le développement de cette région n'est pas moindre. Dès que les premières collines d'Ifigha, sise à mi-chemin entre Azazga et Bouzguène, sont entamées, les somptueuses villas de style pittoresque accrochées au flanc de la montagne ou à son sommet renseignent grandement sur une certaine aisance financière qui règne au sein de ces villages et hameaux. « Ceux qui construisent, ce sont des émigrés. Ici, il n'y a pas une famille qui ne compte pas un fils ou un père qui vit en France si ce n'est pas toute la famille qui y est allée », nous dira un jeune de Bouzguène.