Très attachés à leur terre natale, les émigrés ne ratent aucune saison pour fouler le sol de leurs ancêtres, affichant une fidélité manifeste à leurs villages. La saison estivale en Kabylie se singularise des autres régions du pays sur au moins un point, la présence en force des émigrés. Connue pour son importante communauté émigrée, la Kabylie accueille chaque année des milliers de ses enfants, partis ailleurs pour gagner leur vie. Le phénomène migratoire des gens de la région ne date pas d'aujourd'hui. Il a commencé durant la guerre de libération pour se poursuivre durant la tragédie nationale. Aujourd'hui, ceux qui ont pu s'installer reviennent, le temps d'un mois, pour passer quelques semaines avec les parents, la famille et profiter du soleil qui leur manque tant là-bas. Août est leur mois. Les villes ou les villages de Béjaïa accueillent en cette période des centaines, voire des milliers de familles venues se ressourcer au pays. Très attachés à leur terre natale, les émigrés ne ratent aucune saison pour fouler le sol de leurs ancêtres, affichant une fidélité manifeste à leurs villages. Les vacances reviennent moins cher ici. Nous avons suivi quelques-uns d'entre eux. Chemini, ce village qui fait office de chef-lieu de la daïra, grouille de monde en ce jour d'août. Les campagnards sont des matinaux. Ils viennent de partout. Qui pour faire ses courses, qui pour acheter un journal ou siroter un café. A l'instar des 25 villages que compte la commune, Chemini vit des problèmes qu'elle tente de résoudre grâce à ses enfants. La providence Depuis le début de l'été, la communauté locale s'accommode merveilleusement des nouveaux venus, les émigrés. Salim est arrivé depuis une semaine. Il fait partie de la nouvelle génération d'émigrés. Parti il y a quelques années, il a réussi le pari de s'installer à Paris, de fonder un foyer. «Je suis content d'être parmi les miens et dans ma région qui m'ont beaucoup manqué». Notre émigré respire visiblement le bonheur. Non seulement, il a réussi, mais il fait profiter les siens. L'émigré d'aujourd'hui se porte mieux chez lui. Le fort taux de change de la devise donne des ailes à nos compatriotes et c'est toute la région qui en profite. Une providence pour le développement local. Et pour cause! Si, par le passé, les gens d'outre-mer envoyaient des mandats à leurs familles restées au pays, prenaient en charge des constructions dans leurs villages, aujourd'hui il vont jusqu'à lancer des chantiers générateurs d'emplois...«J'ai l'intention de construire un pavillon» annonce-t-il en nous invitant à nous attabler dans un café du coin. Il prend soin de vérifier si sa voiture est fermée. Un geste qu'il fait avec beaucoup de gêne, mais sans commentaire. Salim est issu d'une famille nombreuse. Aujourd'hui, ses frères dépendent de la rente de son père, un ancien émigré lui aussi. Cette situation lui est insupportable. «Il faut réfléchir à un investissement sérieux ici», estime-t-il. Notre communauté génère d'importantes rentrées de devises. Il est important de voir que des jeunes pensent aux investissements. Après l'Etat, les émigrés sont déjà le second employeur dans la région de Kabylie. Mais c'est surtout leurs propres familles qui en tirent le plus gros bénéfice. Aujourd'hui, la nouvelle génération d'émigrés voit plus loin: «Je sais que notre présence sur le sol français ne peut pas durer éternellement, c'est pourquoi il est nécessaire de créer des partenariats pour un investissement qui nous garantira notre propre avenir et celui des autres.» A la question de savoir comment les choses vont se faire, Salim explique: «Nous avons le savoir-faire acquis à l'étranger et les gens d'ici disposent du temps. Un bonne combinaison donnerait lieu, à coup sûr, à des projets créateurs d'emplois et de richesses». Mais fait-il remarquer «l'administration doit lever au maximum les contraintes bureaucratiques». Sur la route vers son village natal, Salim n'arrête pas de saluer les gens. Des gens qui l'accueillent avec fierté car il a réussi. «Depuis qu'il est là, ma maison ne désemplit pas» nous dit, avec émotion, sa mère. Salim se mariera l'année prochaine. Si tout va bien, sa maison sera entre-temps achevée. «Vous êtes déjà invités», nous lance-t-elle fièrement lorsque nous quittons Salim. Depuis le début du mois de juillet, les premiers véhicules immatriculés à l'étranger apparaissent comme un signe qui ne trompe pas sur l'origine du conducteur. En dépit du prix de revient d'un voyage par voiture à partir de la France, nos émigrés optent toujours pour cette option qui leur garantit au moins la liberté et l'indépendance. Si la plupart des émigrés arrivent avec leur propre véhicule, d'autres se paient le luxe de louer une voiture pour toute la durée des vacances. «C'est moins cher que de venir avec son propre véhicule», soutient une dame rencontrée dans une agence de location de voitures à Béjaïa. En véritable calculatrice, elle nous expliquera que «la location de voiture pendant toutes les vacances dépasse à peine le prix du billet d'un véhicule ramené de France». On comprend mieux la prolifération des agences de location de voitures. Parmi les émigrés, qui reviennent chaque été, il y a les retraités, des salariés, de plus en plus nombreux, résidant en France en famille. Comme avant, ils ont tous une maison plus confortable que celle d'autrefois. Salah en possède même deux. Une au village natal comme tous les émigrés qui se respectent et l'autre à Béjaïa. Il a su profiter de l'envolée de la devise pour doter même sa progéniture de moyens de décoller sans souci dans la vie active. Depuis au moins une année, de nouveaux émigrés reviennent au pays avec leurs épouses françaises, généralement d'origine algérienne. C'est souvent le voyage de récompense pour ces dames qui leur ont permis d'avoir des papiers et des permis de séjour. La majorité d'entre eux ont ramené leurs familles, dont certains membres, nés outre-mer, découvrent pour la première fois leur pays d'origine. Ceux que nous avons abordés se disent émerveillés par tant de beauté naturelle qui s'offre à leur regard, dès la frontière franchie d'autres évoquent la facilité et la rapidité d'intégration à la société autochtone grâce à une hospitalité exemplaire et un accueil exceptionnellement chaleureux et convivial pour ceux qui débarquent pour la première fois au bled. La tradition respectée Nous sommes quelque part à Akfadou. Karim se rend pour la première fois à la mosquée du village. Tous le scrutent des yeux. Il est beau, bien habillé et surtout visiblement étranger. Il a été absent au village depuis dix ans. Son épouse, blonde comme on n'en a pas ici, l'accompagnait ce matin-là pour sa première virée dans son village natal. Les moeurs ont beaucoup changé. Si avant, on cachait tout mariage avec une Européenne, aujourd'hui, on la ramène même au village. Karim raconte comment il avait connu sa femme pour en faire son épouse quelques mois après. La loi Sarkozy n'était pas encore en application lorsqu'il a contracté le mariage. Karim en profite pour nous inviter à la cérémonie symbolique de célébration de son mariage au village comme le veut la tradition. Sa mère la lui a imposée. Il pense déjà recélébrer son mariage pour le plaisir des villageois et de ses parents. Farid, un autre jeune émigré est aujourd'hui aux anges. Accompagné de son épouse Karine, il s'apprête à se rendre à Béjaïa à bord d'un véhicule comme on en voit rarement ici. C'est en ville qu'il a choisi de s'installer. Après avoir passé deux journées avec ses parents, qui vont peut-être le rejoindre en ville. «S'ils veulent bien», note-t-il, car, apparemment, ce n'est pas gagné d'avance. Sa mère voulait qu'il reste au village mais Farid en a décidé autrement car il veut profiter de la mer et du soleil. Farid a bien réussi son émigration en Belgique. Ayant un niveau universitaire, il n'a pas tardé à s'intégrer, aidé en cela, par une charmante épouse pleine d'attention. Oui, Karine dit que ce pays est désormais le sien aussi. Tous deux ne manqueront pas de souligner que l'image qu'ils se sont fait, à propos de l'Algérie durant la dernière décennie, est tellement différente de la réalité tant sur le plan social que topographique même si les derniers attentats à Tizi Ouzou et Boumerdès les ont quelque peu bouleversés. Loin de céder à la pression, Farid et Karine projettent d'acquérir un appartement au bord de la mer. «Peut-être à Ath Mendil», dit Farid, ne cachant pas son désir d'avoir notre point de vue. Un ami à eux leur a conseillé cet endroit féerique. La vie s'anime dans les villages et les villes de Kabylie. Outre les mariages qui se suivent au rythme des jours, cette animation revient en grande partie aux émigrés, qui ont soif de l'air du bled et ne dorment presque plus. Ils disent vouloir profiter de chaque instant. Les vacances sont si courtes.