Alors que la France se débat avec sa loi sur le voile islamique à l'école, le Canada est confronté à un débat public très sérieux : un groupe de musulmans de Toronto demande l'instauration d'un tribunal d'arbitrage qui appliquerait la charia pour trancher des litiges familiaux et commerciaux. En Ontario, la province la plus multiculturelle du Canada, où l'on compte des tribunaux catholiques et rabbiniques, une loi d'arbitrage existe déjà depuis 1991 qui permet l'utilisation de la charia pour traiter des questions de divorce, d'héritage, de pension alimentaire et de garde d'enfants. Arguant que la Charte canadienne des droits et libertés doit lui assurer la liberté religieuse, le groupe de musulmans de Toronto exige l'instauration de tribunaux musulmans. Cette demande a semé un froid dans la communauté musulmane, et plusieurs associations de femmes ont crié au scandale prétextant que si la province de l'Ontario acquiesçait à la demande des religieux, cela créerait un précédent au Canada et, par conséquent, l'égalité des sexes se trouverait carrément bafouée, ce qui reviendrait à piétiner la Charte des droits et libertés. Pour résoudre le litige entre ceux qui souhaitent que le religieux interfère dans la sphère familiale et ceux qui s'y opposent, l'Ontario a confié la cause à Marion Boyd, ancienne procureur générale et ministre de la Condition de la femme de l'Ontario. Cette dernière devra décider si la loi d'arbitrage en vigueur dans la province est discriminatoire à l'égard des femmes. Son rapport est attendu à la fin du mois, et d'ici là tout le monde retient son souffle. L'affaire des tribunaux islamiques vient poser encore une fois l'épineuse question de qui de la norme ou de la minorité doit s'adapter ? Au Québec, l'intrusion du religieux dans la sphère publique ne s'est pas faite à travers les tribunaux religieux (ils sont interdits), mais par le rebondissement du voile dans les écoles publiques voilà quelques années déjà. En 1995, en évoquant la Charte des droits et libertés, une recommandation juridique de la Commission des droits de la personne avait conclu que l'interdiction vestimentaire imposée constituait un geste discriminatoire compromettant le droit à l'instruction publique ainsi que la liberté de religion. Le port du voile dans les écoles publiques se trouvait ainsi toléré. Cette décision contrevenait à la position de la Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ) qui s'était prononcée en sa défaveur. La Fédération des commissions scolaires du Québec avait, quant à elle, proposé que la décision à ce sujet revienne à la direction de chaque école. Par ailleurs, dans le cas des écoles privées, le contexte est fort différent, notamment dans les écoles musulmanes où le port du foulard est largement adopté aussi bien par les enseignantes que les élèves. Ensemble, les écoles religieuses ont reçu 21,2 millions de dollars de subventions de la part du gouvernement du Québec au cours de l'année 1997, et la tendance se maintient. Les écoles juives héritent de la part du lion, soit 17,8 millions, trois écoles arméniennes suivent avec 3 millions et les écoles musulmanes ont reçu 411 831 dollars. Les parents versent de 1400 à 1500 dollars pour chaque enfant en frais de scolarité qui sont réduits pour les familles nombreuses ou moins fortunées. Bien que l'argent afflue de toutes parts, le salaire d'un enseignant d'une école musulmane est très en dessous de la norme québécoise adoptée, soit trois fois moins que celui d'un enseignant d'un autre établissement, si bien que d'aucuns se demandent où va l'argent des subventions et des frais de scolarité versés aux établissements musulmans.