Il y avait beaucoup de monde à la boucherie Djurdjura, rue d'Avron, ce week-end. Boucherie halal musulmane, précise l'enseigne avec de gros caractères. La clientèle ne semble pas intéressée par la polémique sur le projet d'une interdiction générale du voile intégral. Peu de femmes en hijab. « Toute cette histoire me rappelle l'affaire du RERD (fausse agression antisémite très médiatisée, ndlr). Elle tombe à point pour jeter un voile sur les difficultés des Français. Nous verrons plus tard si l'époux incriminé est réellement polygame et s'il a réellement douze enfants. Je me méfie des emballements médiatiques. Je m'étonne même qu'un journal comme El Watan participe à cette mascarade. Je tiens à préciser que je suis contre le niqab, le hijab et tous les voiles », note Mounir Jendir, dentiste. Mi-sceptique, mi-ironique, il accuse les journalistes de participer à une cabale médiatique. Pour lui, le débat sur le voile intégral cache des « visées politiques qui ne feront que renforcer la stigmatisation des musulmans et faire le jeu du Front national ». Son épouse, Zahia, médecin, opine de la tête mais apporte un bémol. « Je suis très contrariée par ce débat. C'est comme si Copé (chef des députés de la majorité, ndlr) nous prenait en otages. Etre avec ou contre lui. Je suis contre le niqab, mais je ne me sens nullement solidaire de ce gouvernement. Le premier mot de Jean-François Copé, après le résultat des régionales, a été de dire qu'il fallait voter une loi sur le voile intégral. La droite joue sur les fantasmes. »A Belleville, le discours est étrangement le même. « Il y a d'autres problèmes plus importants. Ce débat est aussi indécent qu'un string, tout ça pour moins d'un millier de cas ! A agiter le chiffon noir, on attire les extrémistes, ça risque de tourner en un débat oiseux entre les politiques et les barbus. Et nous, la majorité silencieuse, nous nous contenterons de voir ça de loin, comme non concernés. Je vois deux gagnants : le FN et les salafistes, comme pour le débat sur l'identité nationale. On finira tous schizophrènes », ironise Ali, webmestre d'un site associatif. Une station de métro plus loin, rue Jean-Pierre-Timbaud, quartier très prisé par les bobos et les férus de la littérature islamique, on se veut discret mais ferme. Beaucoup plus de hijabs dans la rue et dans les vitrines « Vous avez vu des femmes en niqab ici ? Sauf à s'attaquer à celles qui se voilent la tête. Toute cette affaire est stérile. Cette nouvelle vise à assimiler encore et encore Islam et terrorisme. Et pendant ce temps, on ne parle ni du chômage ni des scandales financiers. On nous prend la tête pour nous empêcher de penser », tranche Fatiha, étudiante à Jussieu. « Oui, il faut bannir le niqab de l'espace public. Nous sommes en France, ce pays est laïc, il faut respecter ses lois. Et ceux qui n'adhèrent pas peuvent toujours aller au Soudan ou au Yémen. Ils sauront alors ce qu'est la charia, la loi islamique. Même si le débat est biaisé et répond à des objectifs politiques, il a le mérite de poser la bonne question », la reprend sa copine Samia. Les deux filles remontent la pente courageusement en cette fin d'après-midi très ensoleillée. Une portait un foulard-bandana sur la tête, l'autre, cheveux au vent (très discret). Toutes les deux arboraient des lunettes de soleil de marque.