Disons-le d'entrée, le monde que vient de quitter le roi Abdallah est plein de dangers pour l'Arabie Saoudite. Son successeur, le prince Salmane, accède au trône au moment même où la monarchie n'a jamais autant été menacée. Sur sa frontière nord, les terroristes de l'Etat islamique (EI) ont juré de l'abattre, et cela au nom de ses propres valeurs fondatrices wahhabites. Daech n'a pas pardonné aux autorités saoudiennes, alliées des Etats-Unis et des Occidentaux, de s'être mises ces dernières années en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. Le mur que construit l'Arabie pour s'en protéger risque de ne pas servir à grand-chose, car l'ennemi est déjà en place. Selon de nombreux observateurs, les extrémistes sunnites du Califat d'Al Baghdadi ne manquent pas de soutiens en Arabie, en raison de la peur panique, de la haine qu'inspirent chez nombre de sunnites de la Péninsule le «péril chiite» et l'Iran. L'autre grand danger qui guette l'Arabie Saoudite est justement l'Iran et le Yémen. Surtout si Sanaâ tombe complètement entre les mains des chiites houthis. Du moins, ces deux pays sont perçus comme tels par la plupart des sujets et des dirigeants saoudiens. La perspective imminente d'un accord entre Washington et Téhéran sur le nucléaire accentue l'angoisse des Saoudiens. L'Iran est, rappelle-t-on, le grand rival de Riyad dans la région. Il s'agira aussi pour le roi Salmane de poursuivre et surtout de gagner la guerre du pétrole engagée par son prédécesseur. Il y va de la survie du pays. L'Arabie essaye actuellement, en effet, de préserver sa part de marché en rendant notamment non rentable l'exploitation du gaz de schiste par les Etats-Unis. Elle le fait en cassant les prix du brut. Tout le monde a compris que les hydrocarbures non conventionnels risquent d'entraîner un découplage stratégique entre Washington et Riyad. Ce dont a grandement peur l'Arabie Saoudite. En inondant le marché de son pétrole à bas prix, le roi Abdallah escomptait également mettre à genoux l'Iran et, accessoirement l'Irak, les autres grands producteurs de la région. Comme il est aisé de le constater, le contexte dans lequel accède au trône Salmane est extrêmement difficile. La seule chose qui pourrait le rassurer est qu'il n'aura sans doute pas à exercer longtemps le pouvoir en raison de sa maladie. La tâche en incombera alors à son successeur. Mais pour l'heure, il y a une certitude : le nouveau roi d'Arabie Saoudite ne changera pas de politique. Changement dans la continuité A ce propos, Salmane, le nouveau roi d'Arabie Saoudite, s'est engagé hier, dans son premier discours retransmis à la Télévision nationale, à continuer sur le chemin de ses prédécesseurs, une «grande responsabilité», selon lui. «Nous resterons, avec la force de Dieu, sur le chemin droit que cet Etat a suivi depuis sa création par le roi Abdelaziz Ben Saoud et par ses fils après lui», a déclaré le souverain âgé de 79 ans. Il a plaidé pour la continuité dans la politique du royaume pétrolier et l'unité au sein du monde musulman. «Ce dont l'oumma musulmane a le plus besoin sont l'unité et la solidarité et nous continuerons dans ce pays à faire tout ce que nous pouvons pour parvenir à l'unité (...) et défendre les causes de notre nation», a-t-il ajouté. Le roi Salmane d'Arabie Saoudite a, à l'occasion, marqué nettement son territoire en procédant, dès son intronisation, hier, à des nominations clés. Celles-ci marquent l'entrée des princes de «deuxième génération» dans l'ordre de succession et renforcent l'influence de sa branche de la famille des Al Saoud. En agissant de la sorte, il cherche probablement aussi à assurer une transition sans dommage entre les générations. Le monarque a ainsi désigné l'actuel ministre de l'Intérieur, le prince Mohammed Ben Nayef, futur prince héritier, et nommé son fils, Mohammed Ben Salmane, ministre de la Défense. L'arrivée de la seconde génération Ces décrets ont été publiés quelques heures après le décès du roi Abdallah. Le prince Mohammed Ben Nayef, 55 ans, qui reste ministre de l'Intérieur, a été nommé deuxième dans l'ordre de succession sur le trône après le prince héritier, son oncle Moqren. Sauf retournement de situation, il serait ainsi le premier roi de la «deuxième génération» - les petits-fils du roi Abdel Aziz, fondateur du royaume saoudien - dans la lignée de succession, jusque-là composée uniquement de fils du roi Abdel- Aziz, fondateur de la dynastie des Al Saoud qui a donné son nom au pays. Les deux nominations renforcent en outre au sein de la dynastie des Al Saoud l'influence de la branche des Soudaïri, qui s'était affaiblie durant le règne du roi Abdallah. Le roi Salmane fait partie du clan des Soudaïri, les sept fils d'une même mère, Hassa Bent Ahmad Al Soudaïri, favorite du fondateur du royaume. Mohammed Ben Nayef est le fils d'un autre membre de ce clan. Considéré comme le champion de la lutte contre Al Qaîda qui a tenté de l'assassiner en 2009, Mohammed Ben Nayef avait succédé à l'Intérieur à son père, le prince Nayef, décédé en 2012 après avoir dirigé ce ministère pendant 37 ans. De son côté, le nouveau ministre de la Défense, Mohammed Ben Salmane, un des fils du nouveau roi, va également diriger la cour royale. Il était à la tête du cabinet de son père lorsque celui-ci était prince héritier.