C'est une lettre poignante que vient d'adresser, depuis sa cellule à Istanbul, le journaliste turc Hidayet Karaca, directeur de la rédaction du groupe de télévision Samanyolu (Voie lactée) au Monde et au monde surtout. Ce journaliste courageux, cueilli il y a 54 jours dans sa rédaction par les flics d'Erdogan, fait partie de ceux qui sont affublés du qualificatif de «terroristes». Leur péché ? Avoir dénoncé dans leurs médias la nature répressive du nouveau «sultan» de Turquie, Tayyip Erdogan, et les scandales de corruption dont se sont rendus coupables ses proches collaborateurs en 2013. Pour le Premier ministre devenu président, il fallait donc fermer le «bec» à ces journalistes qui ont osé défier son autorité et montrer la face cachée de son succès politique. «(…) Depuis plusieurs années, la Turquie figure en effet en haut de la liste des pays qui emprisonnent des journalistes à tour de bras. Le gouvernement prétend qu'ils sont détenus en raison de leurs ‘‘activités terroristes'' et non de leurs activités journalistiques», écrit Hidayet Karaca. Il dit ressentir une «profonde déception» lorsqu'il constate où en est arrivé son pays au cours des dernières années. «Le pouvoir a dévié de sa trajectoire en démolissant ce qu'il avait construit depuis son accession au pouvoir en 2002», souligne encore Hidayet. Il en veut pour preuve les attaques verbales et les pressions multiples que subit quasi quotidiennement «Hizmet», le mouvement civil d'inspiration religieuse initié par le savant religieux Fethullah Gülen. «Et nous, des journalistes réputés proches du Hizmet, sommes les dernières victimes de cette chasse aux sorcières. Hidayet rappelle que 23 personnes, des journalistes, des scénaristes, producteurs, assistants caméra, infographistes, ont été placées en garde à vue le 14 décembre 2014. Le rédacteur en chef de Zaman, le journal le plus diffusé de Turquie, Ekrem Dumanli, a également été arrêté, accusé d'avoir autorisé la publication de deux chroniques et un article. Il a été libéré, mais il reste frappé d'une interdiction de sortie du territoire». «Nous sommes jugés par un tribunal d'exception. Le juge qui a délivré les mandats est connu pour éprouver une très grande sympathie pour le chef de l'Etat. J'ai posé une seule question au juge : ‘‘Vous nous accusez de faire partie d'un groupe terroriste armé. Où est le groupe ? Où sont les armes ?'' Il n'a pas su me répondre...» Comme le disait Kafka dans Le Procès, «avoir pareil procès, c'est déjà l'avoir perdu». C'est un peu cela la liberté au pays d'Erdogan.