Cette pensée, qui prône la modernité, accepte l'autre, a réussi à donner à l'islam une tout autre perception que celle véhiculée par les Etats théocratiques ou par les tenants d'un rigorisme religieux faisant du djihad islamique international un credo qui a plus nui à l'image d'une religion synonyme de paix et de bonté. Et si le "salut" de l'Algérie venait des préceptes du penseur musulman turc, Fethullah Gülen ? Un nom qui ne dit rien à presque la majorité des Algériens, mais qui semble représenter depuis près d'une quarantaine d'années une troisième voie de l'islam. Celle de la modernité, tournée vers l'acceptation de l'autre, et qui a réussi à donner à l'islam une tout autre perception que celle véhiculée par les Etats théocratiques ou par les tenants d'un rigorisme religieux faisant du djihad islamique international un credo qui a plus nui à l'image d'une religion qui prône la paix et la bonté qu'il n'a servi à son rayonnement dans les sociétés occidentales. Le rapport ombilical entre la Khidma, Hizmet en version originale ou littéralement "au service de", avec les problèmes internes qui secouent actuellement l'Algérie, paraît a priori incongru, pourtant et dans l'esprit de la pensée güleniste, la vision de l'imam peut servir le dialogue et renouer le contact entre les Algériens. Comment ? Le mouvement Hizmet découle en droite ligne de la pensée de Fethullah Gülen, imam et prédicateur turc, né officiellement le 27 avril 1941 à Korucuk en Turquie, en 1938 selon ses disciples. Il est l'inspirateur du mouvement Gülen, aussi appelé le mouvement Hizmet qui préconise davantage l'école à la mosquée. Parmi les fondamentaux de Gülen, le dialogue entre différents antagonistes pour désamorcer les crises en suspens. Et c'est justement cette perspective qui peut inspirer les Algériens pour dénouer des crises ethniques ou communautaires comme c'est le cas de Ghardaïa. Ramené à une dimension plus régionale, cet enseignement peut servir de déclic pour une prise de conscience nationale et instaurer le dialogue dans un climat de sérénité et dépassionné pour une éventuelle sortie de crise. Inconnu du grand public, le mouvement Hizmet avait pourtant ouvert trois écoles privées en Algérie dans les années 2000, plus précisément à Alger, Oran et Constantine, en accueillant quelque 600 élèves répartis entre les cycles primaire et moyen. Quatre ans plus tard, les écoles seront fermées sur décision de l'Intérieur sans aucune explication officielle. Les demandes de réouverture resteront lettre morte, malgré l'intervention en personne du président turc Abdullah Gül auprès de son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika, nous apprendra un responsable de Hizmet qui a préféré garder l'anonymat. La présence du mouvement en Algérie se décline également sous le sceau du caritatif à travers des opérations ponctuelles de distribution d'aides alimentaires en direction des plus démunis. Des actions financées par des hommes d'affaires turcs affiliés à Tuskon, la propre organisation patronale du mouvement, présente dans 140 pays dont l'Algérie, où on évoque l'installation de quelque 300 patrons d'entreprises turcs qui ont investi dans divers secteurs économiques. Hizmet est présente aussi dans 160 pays à travers un réseau d'un millier de centres éducatifs entre écoles et universités privées. On retrouve le mouvement en Asie centrale et en Afrique en passant par l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique où sont implantés plus d'une centaine d'établissements agréés. En Allemagne, ce sont une trentaine d'écoles qui ont ouvert leurs portes pour accueillir les enfants turcs, mais pas que. "Beaucoup de parents allemands inscrivent leurs enfants dans nos écoles", nous dira le directeur d'une des écoles de Hizmet, Eringerfeld, à Dortmund. Et c'est justement en Allemagne que le mouvement connaît sa plus grande réussite en termes d'adaptation et de modèle à donner. Plongée dans l'intimité allemande de Hizmet Samedi 12 avril. Il est 18h à Düsseldorf, l'ISS Dome (anciennement Dome in Rath), salle omnisports située dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie abrite, et pour la première fois en Europe, une manifestation religieuse à grande échelle à la gloire du Prophète de l'islam qui a regroupé, selon les organisateurs, quelque 8 000 personnes principalement issues de la forte communauté turque installée en Allemagne. Aux manettes, les hommes de Hizmet qui ont veillé consciencieusement et professionnellement à la réussite d'un événement qui a coûté 500 000 euros déboursés par des mécènes turcs issus du mouvement. L'objectif du spectacle est de donner une autre image de l'islam aux antipodes des clichés véhiculés par les médias occidentaux. À cette occasion, des journalistes algériens sont invités, dont Liberté, pour visiblement une opération de com voulue par le mouvement pour se faire connaître davantage auprès des Algériens, surtout en ces moments de forte tempête. En effet, il est accusé par le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, de comploter contre lui. En mars, le Parlement turc a adopté une loi fermant un réseau d'écoles privées dont 2 000 gérées par le mouvement, et qui représentent pour lui, au-delà de l'aspect éducatif, une importante source de revenus. Erdogan qui a juré la perte de celui qui fut, il n'y a pas si longtemps un allié de circonstance, a d'ores et déjà commencé une purge au sein de l'appareil judiciaire et policier d'éléments soupçonnés d'appartenir au mouvement güléniste. Il a ainsi limogé des centaines de policiers et de magistrats "suspects" alors que Fethullah Gülen dément toute responsabilité dans le lancement des enquêtes sur la corruption au sein du gouvernement. Le MIT, les services secrets turcs, a également les mains libres pour procéder à des écoutes téléphoniques des Fethullaci à l'étranger ou en Turquie. Interrogé sur cette offensive d'Erdogan, un des cadres gülénistes nous affirme ne pas trop s'alarmer puisque le mouvement n'a rien à se reprocher. "Etat dans l'Etat", comme aime à la qualifier le Premier ministre turc, confrérie, jésuites de l'islam, secte, ou encore comparée à l'Opus Dei — rendu célèbre par le Da Vinci Code de Dan Brown — par la presse occidentale, plus particulièrement française, Hizmet se définit comme un mouvement de bienfaisance au service de la communauté turque et des défavorisés quelle que soit leur origine. À Frankfurt, et outre le siège "régional" du groupe de presse du mouvement, on fera connaissance avec le fer de lance de l'action caritative de Hizmet, Time to Help, qui dispose de huit branches européennes et qui active dans plusieurs pays africains et asiatiques à travers un réseau de bienfaiteurs. Effets vestimentaires, financement de projets, aides aux orphelins, le mouvement s'inscrit dans une dynamique humanitaire diversifiant ses relais dans différents pays du monde. Au siège de Samanyolu TV, on rencontrera Abdullah Aymaz, l'un des premiers disciples de Fethullah Gülen qu'il a connu dans les années soixante. Superviseur général de Hizmet en Europe et ancien directeur général du journal Zaman à Istanbul, il nous résumera la pensée du prédicateur turc qui a fait de l'éducation, la matrice même de son mouvement de pensée qui aspire depuis les années quatre-vingt à préparer la "génération dorée". Il évoquera également les péripéties de la rencontre du père des gülénistes avec le Pape Jean-Paul II au Vatican en 1998. Accusés, par ailleurs, de prosélytisme, les Fethullaci évitent ouvertement de mettre en avant la religion dans l'enseignement qu'ils prodiguent, laissant le libre arbitre à l'élève, où qu'il soit, de se faire sa propre opinion. Le mouvement devient transnational à partir des années quatre-vingt-dix à travers la multiplication des écoles plutôt que des mosquées. D'abord en Asie centrale puis en Europe, aux Etats-Unis, en Asie et depuis quelques années en Afrique. Mais le plus grand danger pour Hizmet vient de son dos où Erdogan, l'allié d'hier, est devenu l'ennemi d'aujourd'hui. S. O. Nom Adresse email