Que ce soit en investissement ou en exportation, le marché africain reste quasiment vierge pour les entreprises algériennes en dehors de la présence de Sonatrach dans le secteur des hydrocarbures. En excluant des statistiques les pays du Maghreb, il ressort que les exportations algériennes vers les pays africains représentent moins de 0,2% des exportations globales du pays, moins de 100 millions de dollars ces trois dernières années. En matière d'investissements, le constat est encore pire, mais avec les groupes Cevital dans l'agroalimentaire et Condor dans l'électroménager des projets commencent à fleurir (voir graphe.) «Il ne faut pas rater les opportunités de s'élargir sur notre continent. Le bassin africain reste encore sous-développé et ne demande qu'à assurer sa sécurité alimentaire et son développement», observe Farid Bourenani, expert en ingénierie financière et conseiller auprès de Cevital. Soudan, Djibouti, Sénégal, Mali, Côte d'Ivoire, Ethiopie, le groupe dirigé par Issad Rebrab est annoncé dans plusieurs pays africains et son nom est associé à des projets estimés à plusieurs centaines de millions de dollars. «Il y a des projets qui génèrent de la valeur ajoutée, mais qui ne sont pas encore entamés», indique M. Bourenani, sans en préciser les montants, mais en expliquant que l'argent investi consistera aussi en des «réinjections» de ressources à partir d'investissements déjà réalisés. Pour l'heure, «il n'y a pas d'activité qui a déjà commencé, mais la prospection, elle, est permanente». Le Soudan pourrait être le premier pays à voir la concrétisation de l'investissement de Cevital de par son importance. La logique du groupe est d'investir en amont et en aval de l'activité sucrière pour «assurer la sécurité alimentaire du pays» et aussi échapper à la fluctuation du marché des matières premières. Cevital veut «contrôler l'amont de l'activité en investissant dans les pays où il y a assez d'eau pour produire de la canne à sucre et c'est le cas au Soudan et aussi en Ethiopie». En aval, l'objectif est de créer des raffineries de sucre et d'huile là où les besoins des populations existent, comme en Afrique de l'Ouest. Le groupe privé exporte déjà ses produits vers plusieurs pays africains. La voie de l'export L'intérêt n'est donc pas nouveau, du moins en matière de commerce, mais l'export est souvent une porte d'entrée. «Sur des marchés matures, il y a moins de place pour vous, il vaut mieux aller sur des marché en développement. Il est plus facile d'aller au Bénin ou au Mali que d'aller en Suède ou en Allemagne», estime notre interlocuteur. Dans ce cadre, le groupe Condor prévoit d'ailleurs d'exporter 200 000 à 300 000 euros de produits électroménagers vers le Soudan avant d'investir dans la production dans une seconde étape. Plusieurs entreprises algériennes exportent vers l'Afrique, essentiellement dans le secteur agro-alimentaire. Le Trophée Export récompense d'ailleurs chaque année les meilleures entreprises exportatrices, mais les montants restent anodins. En 2013, les laiteries Soummam avaient décroché ce trophée avec des exportations de 3 millions de dollars. L'ancien président d'Algex, Mohamed Bennini, déplorait que l'Algérie ait pendant des années négligé l'Afrique, accordant la priorité «à des marchés traditionnels comme l'Europe». Pourtant, rien de ce côté-là non plus. «On ne pourrait pas placer un bonbon en Europe et si on ne vendait pas des produits du terroir, on ne vendrait rien du tout», soutient Boudjemaâ Kemmiche, PDG du groupe Ifri qui cumule près de 20 ans d'expérience dans le domaine de l'export. Ses produits sont présents notamment au Cameroun, au Sénégal, au Nigeria, en Côte d'Ivoire. Pour lui, l'Algérie a des produits «qui tiennent la route» et peuvent donc répondre «aux standards de consommation des pays africains où ils pourront se vendre facilement». Simplement, il y a des préalables. «Il faudrait d'abord satisfaire la demande locale avant d'exporter les excédents». Ensuite, l'export «est un métier et on est les derniers au monde dans ce domaine. Il faut mettre de la valeur ajoutée dans les produits et comprendre qu'aujourd'hui 50% de la valeur d'un produit réside dans son emballage». Une réalité que les rares producteurs nationaux n'ont pas tous forcément comprise, même si en valeur intrinsèque leurs produits sont exportables. Modalités Pour Smaïl Lalmas, conseiller en développement des entreprises à l'export, «peu importe le marché vers lequel on veut exporter, il faut d'abord avoir une stratégie à l'export et une tutelle pour s'en occuper». Considérer que parce qu'il est sous-développé, le marché africain est plus facile d'accès serait erroné, selon lui. «Il est convoité par toutes les puissances mondiales, il est ultra-concurrentiel. Les pays qui y sont entrés, comme la Chine, sont passés par des projets d'aide au développement, des projets à titre gracieux, des actions diplomatiques, des lignes de crédit, etc.». Et, justement, l'Algérie prête beaucoup aux pays africains mais efface également beaucoup de dettes. Entre 2010 et 2013, l'Algérie a effacé plus de 900 millions de dollars de dettes pour 14 pays africains. «On efface la dette pour rien, sans contrepartie. On aurait pu convertir cette dette», commente Smaïl Lalmas. Une idée partagée par Farid Bourenani, pour qui «il y a plusieurs modalités pour accéder au marché africain». L'une d'entre elles est de «convertir en actifs la dette détenue par l'Algérie sur certains de ces pays». L'Algérie, dit-il, «a l'obligation de rayonner sur l'Afrique, mais au lieu de faire sortir des devises, on peut transformer la dette, en contrepartie de laquelle on va nous céder des terres», par exemple. Une option parmi d'autres. Encore faut-il que ce nouvel intérêt pour l'Afrique soit autre chose qu'un choix dicté par la conjoncture, qui sera oublié aussitôt les cours du pétrole repartis à la hausse.