L'opération de rapatriement des Nigériens sans papiers organisée par Alger et Niamey n'est pas encore terminée que les clandestins revenus chez eux ont déjà pris… la route du retour vers l'Algérie. El Watan Week-end a rencontré Issa, 17 ans. «Venir clandestinement en traversant le désert nous coûte dix fois moins cher.» Issa(*) a 17 ans. Ce Nigérien est originaire d'Agadès, ville située au nord du Niger, à 400 km au sud d'In Guezzam. Il fait partie des plus de 2500 rapatriés par le gouvernement algérien dans le cadre d'une opération organisée avec Niamey. Après avoir passé 45 jours avec sa famille, il est… revenu en Algérie pour travailler. Diplômé dans le domaine de la fabrication de bijoux touareg, il est le seul de sa famille à avoir fait des études. «Je travaillais comme comptable et commercial dans la petite société familiale de fabrication de bijoux touareg», raconte-t-il. Mais Issa préfère laisser l'entreprise à sa famille et espère que ses diplômes lui permettront de gagner plus d'argent. Arrivé en Algérie début 2014, il est rapatrié dans son pays natal en décembre dernier : «J'ai profité de l'opération de rapatriement avec le Croissant-Rouge algérien pour aller voir ma famille. Je ne fais pas partie des sans-papiers arrêtés par la police. Je me suis présenté volontairement. Pendant l'opération, j'ai même apporté mon aide, je servais d'interprète pour les bénévoles qui ne comprenaient pas notre langue.» Pour traverser le désert entre l'Algérie et le Niger, Issa, comme plus de 200 personnes, a fait le trajet dans une benne de camion : «Finalement, je regrette de ne pas être parti seul. Le voyage d'Alger jusqu'à In Guezzam (Tamanrasset) s'est bien passé. Les bus étaient confortables. Mais depuis le poste frontalier algérien jusqu'à Agadès, cela a été pénible, surtout pour les personnes âgées. On nous a transportés comme des chèvres ! Si j'étais parti seul, j'aurais pu prendre un 4x4 d'In Guezzam jusqu'à Arlit et par la suite prendre un bus jusqu'à chez moi.» Une fois à Agadès, la famille de Issa fête son retour. «Les Touareg sont des nomades, chez nous le voyage est une tradition», précise-t-il. Il dit que pendant son séjour, «la famille égorgeait chaque jour un mouton». «Les miens étaient tellement heureux, ils voulaient profiter de chaque instant avec moi. Mais tout le monde savait que je n'allais pas tarder à repartir. Chaque soir, tous les jeunes de ma famille et de mon quartier se réunissaient autour d'un feu et d'une théière, chacun de nous racontait aux autres comment il a vécu son expérience à l'étranger et comment il a fait son voyage», témoigne Issa. - Clandestinement C'est clandestinement que Issa revient en Algérie. «Pour venir dans un cadre légal, il faut dépenser beaucoup d'argent, uniquement pour le visa et le billet d'avion, il faut mettre de côté plus de 100 000 DA, mais venir clandestinement en traversant le désert nous coûte dix fois moins cher et on n'a besoin d'aucun papier», précise Issa. Comme des centaines de jeunes, Issa a emprunté un chemin très connu des transporteurs. La séparation avec la famille a été un moment très difficile. Les yeux de Issa deviennent humides et son regard se fige. «J'ai vu ma maman et les membres de ma famille qui pleuraient, il m'a fallu du courage pour sortir de la maison. En arrivant à la gare, j'ai réservé une place dans le bus pour Arlit et je l'ai attendu sans cesser de pleurer. J'étais tenté d'annuler mon voyage, mais je tenais aussi à le faire pour essayer d'aider ma famille et assurer mon avenir. J'ai attendu la dernière minute, que le chauffeur m'appelle, pour monter dans le bus. Mais après avoir parcouru 240 km en six heures jusqu'à Arlit à cause de la route, impraticable, je me suis ressaisi un peu, car je savais que je n'avais pas le choix.» A Arlit, où se trouve une gare pleine de 4x4 en partance pour l'Algérie, Issa trouve «plusieurs dizaines de personnes venues faire le voyage vers l'Algérie. Ils n'étaient pas tous Nigériens. Certains venaient de pays africains et transitaient par le Niger pour aller en Algérie, ou en Europe en passant par le Maroc et l'Espagne. Mais en aucun cas, les gens d'autres pays africains ne montaient dans les mêmes véhicules que nous. Leur prix est quatre fois plus élevé que ce que nous payons. Un Nigérien peut voyager même gratuitement s'il n'a pas d'argent, mais eux, non». - Gendarmerie Après avoir attendu quelques minutes, le temps que le transporteur algérien rassemble dix personnes qui avaient toutes payé d'avance, le 4x4 démarre. Après avoir parcouru une bonne distance, juste avant d'arriver au poste-frontière nigérien, les occupants du véhicule et le chauffeur tombent sur une patrouille de gendarmerie nigérienne. «On nous a tous fouillés. Ils nous ont demandé de l'argent pour nous laisser passer. Plus on transporte de choses, plus on paye. Heureusement pour moi, je voyageais léger avec un peu d'argent. Plus tard, nous avons encore été interceptés par une patrouille mixte de la Gendarmerie et des Douanes algériennes. Les gendarmes nous ont encore fouillés, demandé ce que nous allions faire en Algérie, où nous allions et si nous comptions faire de la mendicité. Ils nous ont laissés repartir après s'être bien assurés que nous n'avions rien d'illégal, comme des armes ou de la drogue, sur nous.» Une fois atteint le sol algérien, le pari est presque gagné pour les Nigériens. Mais il reste encore 400 km à parcourir avant d'arriver à Tamanrasset et se rendre à la gare routière pour prendre un bus vers la destination finale. Issa et les autres Nigériens prennent un 4x4. «Nous n'avions pas le choix, car la nuit il faisait un froid glacial et on ne pouvait pas attendre le bus du lendemain même si un véhicule coûte quatre fois plus cher ! On a payé 3000 DA par personne au lieu de 700 DA», précise Issa. - Peur Sur le chemin vers Tamanrasset, les clandestins croisent un barrage de gendarmerie. Ceux qui ont peur descendent avant le barrage pour le contourner et rejoindre le véhicule 8 km plus loin. «Moi je ne suis pas descendu du véhicule, raconte Issa. Je me suis habillé comme un Algérien, avec un chèche touareg. Et nous avons rejoint Tamanrasset sans aucun souci.» Une fois arrivés à Tamanrasset, les Nigériens ne voulaient pas prendre le risque d'être arrêtés par la police. Ceux qui avaient des contacts sur place en ont profité pour se reposer quelques jours avant de repartir. Pour les autres, pas question de trainer : plus tôt ils s'en iront, mieux ce sera. «J'ai pris le bus pour Alger, mais une fois arrivés à El Ménéa (Ghardaïa), les gendarmes nous ont fait descendre. Je leur ai expliqué que j'étais Nigérien en situation illégale sur le territoire, mais ils m'ont laissé partir, je ne sais pas pourquoi.» Voilà bientôt un mois que Issa s'est installé à Alger. Ses amis lui ont trouvé un bureau où il peut dormir au chaud. Dès la semaine prochaine, il commencera à travailler chez un entrepreneur comme homme à tout faire.