Sid Ali Kouiret, l'enfant de La Casbah, le «kid» du quartier de La Marine, à Alger, le fils spirituel de Mustapha Kateb, ayant appris Shakespeare, le comédien populaire de l'Algérie indépendante, célèbre par son rôle mythique et charismatique du héros de l'ALN, le révolutionnaire, Ali, dans le grand film L'Opium et le bâton d'Ahmed Rachedi datant de 1971, alors au faîte de l'âge d'or du cinéma algérien, est décédé dimanche, à l'issue d'une longue maladie. Il avait 82 ans. Sid Ali Kouiret, drapé de l'emblème national, a été inhumé hier, après la prière du dohr, au cimetière de Oued Romane, sur les hauteurs d'Alger. Et ce, devant une foule «sentimentale» venue lui rendre un dernier hommage et l'accompagner à son ultime demeure. Des comédiens, des cinéastes, ses pairs, ses amis, les artistes, les membres de sa famille, des admirateurs de la première heure, des anonymes, des voisins ont tenu à saluer une gloire nationale du cinéma algérien et souligner la mémoire de celui qui a beaucoup donné de sa personne pour son pays. Sans misérabilisme ni condescendance béate de la notoriété. Sa mort fédère Sid Ali Kouiret, en tirant sa révérence, selon la formule consacrée, et en cette journée printanière, a réussi à fédérer des grappes humaines d'artistes, anciens et jeunes, lui témoignant un respect sans bornes. Les Hassan Benzerari, Moussa Haddad, Madani Naâmoun, Bachir Dérais, Abdenour Zahzah, Azzedine Bouraghda, Amine Abdeli, l'ancien directeur de la Cinémathèque algérienne, Boudjemaâ Karèche, Saïd Hilmi, Larbi Lakhal, Samir Toumi… «Tous pour un» et «Un pour tous». Une sorte de mort, certes, mais aussi de naissance fraternelle et confraternelle. Une belle image pas de sa famille d'adoption, du tout subliminal mais sublime que lègue ce «sacré», ce «monstre» Sid Ali Kouiret ! Mais parmi cet aréopage, le fils du défunt, éploré et une autre silhouette, familière, une «bonne bouille» du 7e art algérien, mais elle est défaite aujourd'hui. Un rictus et la larme à l'œil défigurent le traditionnel large sourire communicatif. Car boulerversé par la mort de son ami, son frère. Ce n'est autre que l'alter ego de Sid Ali Kouiret. Sid Ahmed Agoumi, son pair qui lui a donné la réplique dans le film Les Enfants de La Casbah de Abdelhalim Raïs. Venu précipitamment depuis Tunis, hier, il a écrit un texte en guise d'oraison funèbre. Mais, malheureusement, il n'a pas pu déclamer cette ode posthume. Une dette, un droit. «Il n'a jamais trahi» Grillant cigarette sur cigarette, effondré et très affecté, il nous confiera avec émotion : «Sid Ali Kouiret fut et est toujours un exemple vivant que le théâtre, le cinéma... la culture en un mot, ait pu donner à l'Algérie. Un enfant pauvre du quartier de La Marine. Il se revendiquait de la modestie de son foyer. Une étoile inoubliable du cinéma algérien. Il l'a démontré par sa rigueur, par le combat qu'il avait mené contre lui-même pour se hisser au plus haut niveau. C'est un acteur populaire dans le plus noble sens du terme. A l'instar de Rouiched, qui lui aussi est un enfant du peuple. J'avais beaucoup d'admiration, d'amitié et de fraternité pour lui. Parce qu'on a travaillé ensemble pendant (il s'arrête un moment car il ne pouvait contenir son émotion, ses larmes) plus de cinquante ans. Au théâtre surtout. On s'est retrouvés très peu au cinéma. Mais on a réalisé une œuvre qui a marqué quand même les esprits, c'est Les Enfants de La Casbah dont il était l'un des créateurs. Sid Ali Kouiret est hors du commun. Il avait cet instinct qui rivalisait avec toutes les intelligences. C'est le dernier acteur d'instinct ! Toute sa vie il l'a vouée au théâtre et au cinéma. Et aujourd'hui, il manque au public humble dont il se revendiquait. Il n'a jamais trahi. C'est un grand homme. Et aujourd'hui, je perds un ami, un frère, un partenaire hors du commun.» Le dernier des géants Le réalisateur et producteur de cinéma Bachir Dérais ne tarira guère déloges à son en droit : «Sid Ali est un acteur né. Un comédien complet. Il est décontracté. Il aime ce qu'il fait. Il est spontané. Il a un charisme ! Il est agréable ! Il est patient avec les jeunes. D'une grande générosité. Il est ponctuel. Il ne se plaint jamais. C'est la vieille école. La discipline et la ponctualité. Il exige le texte. Il fait attention à sa traduction. Est-ce que l'Algérie va donner encore des vedettes comme Sid Ali Kouiret, Hassan El Hassani ou Larbi Zekkel ? Aujourd'hui, il n'y a plus de formation, plus d'école, plus d'ambiance… C'est fini ! Ces acteurs étaient populaires, adorés par le peuple. On en fait plus des acteurs comme ça. C'est un bon vivant. Sur un plateau, il est là et il commence à chanter. L'art et le cinéma, c'est sa vie. C'est cela Sid Ali Kouiret. C'est ce qui nous manque.» L'Algérie pleure son fils, Sid Ali Kouiret, son héros, qui est mort debout (la fameuse réplique et injonction culte : «Ali, mout wakef») à l'image de sa mère et sa sœur Ferroudja (Marie José Nat) dans le film L'Opium et le bâton d'Ahmed Rachedi «Ya bni, ya bni laâziz !» (Oh mon fils chéri !)