C'est un trésor millénaire dont peu connaissent l'existence. Les collections géologiques, disposées dans les trois salles du musée de l'université d'Alger, sont l'objet de menaces récurrentes. Les enseignants et les étudiants s'en alarment. Des minéraux et des roches laissés à l'abandon, de la poussière qui recouvre les meubles, une odeur d'humidité tenace… les collections de géologie et de fossiles endormies à la fac centrale (elles appartiennent à l'université des sciences et de la technologie Houari Boumediène) sont en déperdition. Au problème des conditions de préservation, s'ajoute la menace d'un déménagement, agitée à plusieurs reprises. Dans le but d'informer de cette menace et de mobiliser les principaux intéressés – corps professoral et étudiants –, une conférence s'est tenue le 14 mai à l'université de Bab Ezzouar, notamment à l'initiative des paléontologues Yasmina Chaïd Saoudi, Fettouma Chiki Amouimeur et Wassila Bourouiba, dans le cadre du projet «Inventaire du patrimoine scientifique et universitaire» soutenu par l'Unesco. Ces précieuses collections détenues par l'université se composent d'un musée de minéralogie, d'une salle dédiée à la pétrographie – la science des roches – et d'un espace consacré à la paléontologie. Elles s'accompagnent d'une riche bibliothèque. Dès 1842, des explorateurs et scientifiques tels qu'Auguste Pomel ou Henri Fournel ont commencé à accumuler ce matériel géologique bien avant l'ouverture de l'université d'Alger, en 1909. La déperdition de ces richesses est préjudiciable pour de nombreuses raisons. Comme le souligne Fettouma Chiki-Aouimeur, dans son ouvrage réservé aux collections de fossiles, leur connaissance est cruciale afin de vérifier «les hypothèses que l'on peut émettre concernant l'origine et les transformations subies par les êtres vivants pour parvenir aux groupes zoologiques ou botaniques représentés actuellement». Les fossiles sont aussi un instrument de vulgarisation qui permet «de faire découvrir et partager l'histoire du monde vivant à un public de non-spécialistes». Enfin, ce musée contient des pièces uniques essentielles et extrêmement diverses. L'inquiétude face au déménagement est d'autant plus grande, que ce n'est pas le premier que les collections ont connu. Une partie avait été déplacée à l'université de Bab Ezzouar dans les années 1970. «Ce transfert s'était déroulé dans de mauvaises conditions», selon Fettouma Chiki-Aouimeur. Les déménageurs avaient utilisé des sacs plastiques rudimentaires et une vulgaire camionnette. De plus, le choix des pièces déplacées était arbitraire, sinon fortuit. Il n'avait été précédé d'aucun inventaire. Des roches et des minéraux avaient même disparu lors de l'opération. Les étiquettes qui accompagnaient les pierres et les fossiles ont, par ailleurs, été égarées ou mélangées, si bien que le matériel transféré à Bab Ezzouar s'est révélé difficilement exploitable. Dinosaure Il s'agissait pourtant de l'un des rares matériels de travail dont disposaient les chercheurs pendant la décennie noire car les géologues ne pouvaient alors se rendre sur le terrain pour des questions de sécurité. «Ayant provisoirement renoncé à déplacer les collections après avoir exercé maintes pressions sur le personnel scientifique, l'administration a récemment décidé de priver l'accès aux bureaux adjacents, jusqu'à présent utilisés par des personnes affiliées à Bab Ezzouar», relèvent les enseignants. L'administration a maintenu le mystère sur le devenir des locaux de l'université d'Alger-Centre. Le sort des collections demeure ainsi en suspens car l'administration manifeste un vif empressement à récupérer l'usage de ses locaux tandis que l'USTHB, propriétaire des collections, «semble se désintéresser du musée», ajoutent les enseignants. S'agissant de l'avenir de la bibliothèque, aucune proposition n'a été esquissée. Afin d'empêcher un nouveau déplacement sauvage des collections, les professeures s'appuient sur la législation qui prévoit que les patrimoines non inventoriés ne peuvent être déplacés. Elles préconisent également le déploiement de nouveaux moyens afin de poursuivre l'effort d'inventaire qui a été amorcé. Si le statu quo devait persister en matière de préservation du patrimoine, Yasmina Meddi, doctorante en géologie, pointe les risques d'une perte de transmission des savoirs entre génération, «comme un relais qui tomberait à terre». Au-delà de ces collections relevant de l'université de Bab Ezzouar, l'Algérie regorge de nombreux sites géologiques insuffisamment protégés, aussi bien des intempéries que des aléas géopolitiques. C'est notamment le cas d'un fémur de dinosaure découvert près de la frontière libyenne, à conserver in situ. Des géo-parcs sont à aménager à travers le territoire. Attenantes au musée universitaire de géologie, le devenir des collections d'anatomie, de sciences naturelles avec leur fameux herbier, ainsi que des archives de la climatologie – importantes pour les prévisions météorologiques à venir – sera également à observer avec attention au cours de ce processus de réorganisation de la faculté centrale.