En 2010 déjà, l'économiste Sid Ahmed Abdelkader, professeur émérite à la Sorbonne, ne cessait d'appeler à agir sans attendre aux fins de mettre en place les mécanismes susceptibles de contrer les fâcheuses conséquences de telles aventures : «L'Algérie a assez marché sur sa tête, il est grand temps qu'elle apprenne à marcher sur ses pieds. L'instauration de la zone de prospérité partagée avec ces deux ensembles à laquelle elle aspirait est chimérique». En avouant cinq ans plus tard que «la déstructuration du commerce nous oblige à aller, vaille que vaille, vers la réduction des importations tout en respectant les accords conclus avec nos partenaires de l'UE et de la GZALE», M. Sellal n'a-t-il pas donné raison à l'ex-conseiller économique du défunt président Mohamed Bouadiaf ? Il est clair que le rendez-vous de la convergence économique, politique et socioculturelle postulée depuis la conclusion des deux accords est raté. Pis, l'économie nationale peine à décoller et demeure engluée dans son statut mono-exportateur, soit le tout-import. En témoignent les recettes d'exportation hors hydrocarbures, actuellement de l'ordre de 4,5 milliards de dinars, pèsent à peine le quart de la facture de l'importation des biens alimentaires. Et la faille, elle se situe où au juste ? La non-intégration de l'élite, loin de faire défaut dans notre pays, au moment de la négociation des deux pactes, celui scellé avec l'UE en particulier, s'accordent à dire des spécialistes de la question économique. Car, soulignent-ils, les désormais puissances asiatiques doivent la réussite de l'ensemble des accords communautaires et internationaux dans lesquels elles s'étaient engagées à leurs élites. Aux yeux de nos décideurs, l'expérience asiatique paraissait, assurément, de peu d'intérêt, pensent d'aucuns. «L'Algérie avait consenti des baisses de tarifications douanières excessivement importantes, 30%, malgré la structure mono-exportatrice de son économie, ce qui est grave et incompréhensible. Et ce, au moment où, en dépit de la solidité de leur économie, ces mêmes pays asiatiques ont maintenu une tarification à hauteur de 160%». Avec ce sacrifice qui ne lui avait pas été demandé, notre pays perd annuellement entre 2,5 à 3,5 milliards de dollars/an sans la moindre contrepartie. Les deux pactes à l'origine de gros transferts illicites de devises En optant pour le démantèlement tarifaire à outrance, dans le cadre de l'accord d'association avec l'UE et de la Gzale, c'est également un chèque en blanc que les pouvoirs publics avaient, en quelque sorte, signé en faveur de la grande fraude, des gros transferts illicites de devises et de la délinquance économique sous toutes ses formes. Considérant la dimension prise ces dernières années par ces phénomènes, le gouvernement a jugé que l'heure était à la «fermeté absolue» pour une meilleure maîtrise des importations. Les deux «artisans» en mesure de colmater la jarre des devises publiques, sollicités étant la Banque d'Algérie et la Douane. En réponse, la première annonce déjà le renforcement des dispositifs de contrôle du financement du commerce extérieur. La seconde s'affaire à mettre au point une nouvelle stratégie de lutte anti-fraude. Bien que les cadres des Douanes estiment que leur administration a à son actif 97% de l'ensemble des manœuvres de transferts illicites de capitaux déjouées, l'institution douanière peine à étancher l'hémorragie financière induite par la majoration et minoration de la valeur déclarée des marchandises à l'importation et à l'exportation. A elles seules, les fausses déclarations à l'import pèsent plus de 40% des infractions de change et dont 80% des auteurs sont des personnes physiques. «Cette infraction de change est souvent pratiquée dans les cas des exemptions de taxes, de démantèlement tarifaire ou de zones de libre-échange, car la suppression ou la réduction des taxes incite les fraudeurs à doper la valeur de leurs produits», explique un inspecteur des services de contrôle des opérations commerciales (IPCOC- port de Annaba). Des pratiques pareilles, ces mêmes services en ont, ces derniers mois, traité pas moins d'une quinzaine d'affaires, nous a-t-on indiqué. La dernière date du début de mars dernier lorsqu'un importateur de Tébessa avait réussi à transférer près de 700 000 dollars vers Dubaï. Il avait déclaré une cargaison de costumes et robes de mariée d'une célèbre marque parisienne, alors que le container s'était avéré être chargé de très vieux vêtements (chiffon). Quelques semaines auparavant, un «collègue» de Oum El Bouaghi avait fait mieux : pour pouvoir bénéficier du contingent tarifaire et des exonérations des droits et taxes prévues suivant les quotas accordés, cet importateur avait déclaré les 2200 tonnes de sucre blanc, importé de France, au prix de 1,1 million d'euros, soit l'équivalent de 51 DA/kg (HT). Or, s'agissant d'un produit contingenté, la valeur administrée est fixée à 34 DA/kg, nous a-t-on expliqué. La manœuvre qui devait lui ouvrir la voie au transfert de quelque 500 000 euros, a été déjouée par les douanes du port de Annaba. L'affaire est actuellement entre les mains de la justice. Flairant le filon, des jeunes promoteurs de projets dans le cadre des dispositifs d'aide à la création de micro-entreprises ont décidé de mettre la main à la pâte : rien que ces derniers mois, des prétendus investisseurs ANDI ont tenté de transférer frauduleusement l'équivalent de plus de 650 000 euros via l'importation d'équipements industriels, non sans la majoration des prix. Et, en fait d'équipements neufs, il n'en fut rien : gravats et blocs de pierres dissimulés sous des machines usagées (ferraille) à la place des machines neuves. Des dérives dont étaient également complices leurs «camarades» du dispositif Ansej, le montant du transfert de l'ordre de plus de 100 000 dollars. Au total, dans la seule wilaya de Annaba, entre 300 et 500 millions de dollars sont annuellement engloutis dans les importations de machines, équipements et pièces de rechange industriels, a indiqué un cadre de l'Inspection principale chargée du contrôle des opérations commerciales (IPCOC). Ces acquisitions massives, dopées par les exemptions et autres avantages fiscaux prévus par l'ANDI, n'ont pas laissé indifférents ses services : pour s'assurer de la destination réelle des équipements importés, précise-t-il, «des brigades spéciales ont été chargées du contrôle et du suivi à mêmes les usines où ils sont censés être installés et utilisés.»