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«L'Iran a changé de logiciel politique»
Bernard Hourcade. Directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de l'Iran
Publié dans El Watan le 16 - 07 - 2015

Géographe spécialiste de l'Iran, Bernard Hourcade est actuellement directeur de recherche émérite au CNRS dans l'équipe de recherche Monde iranien et indien. Il a dirigé l'Institut français de recherche en Iran de 1978.
Après des négociations marathon, les grandes puissances sont finalement parvenues à un accord avec Téhéran sur la question du nucléaire iranien. Que pensez-vous de cet accord ?
Il y a d'abord un accord technique sur le nucléaire dans lequel l'Iran renonce très clairement à tout enrichissement, qui serait de nature à permettre la fabrication d'une arme nucléaire. Donc du point de vue technique, l'Iran respecte totalement les réglementations de l'AIEA. Il n'y a désormais aucune crainte à avoir de ce point de vue-là. Les ambiguïtés sont levées concernant le nucléaire dans cet accord technique. Le dossier était aussi très politique. Cet accord dépasse largement le cadre du nucléaire stricto sensu. Il concernait l'ensemble de la politique de la République islamique d'Iran.
Justement, pourquoi les puissances sunnites du Proche-Orient, comme l'Arabie Saoudite, craignent-elles cet accord ?
Je ne parlerai pas de puissances sunnites mais plutôt de monarchies pétrolières. La question n'est pas religieuse. Il ne s'agit pas non plus d'une question de chiites ou de sunnites. C'est une question de positions. Mais quoiqu'il en soit, cet accord entraîne un changement politique extrêmement important dans la région. L'accord de mardi a été signé entre l'Iran et les six plus grandes puissances du monde. Certaines d'entre elles étaient prêtes à faire la guerre à l'Iran il y a quelques années. Aujourd'hui, nous en sommes loin.
On reconnaît même la République islamique d'Iran. Pour les monarchies pétrolières et Israël, c'est évidemment un changement majeur. Ces monarchies pétrolières n'existaient pas il y a 35 ans. Aujourd'hui, elles comptent parmi les plus grandes puissances financières au niveau mondial. Le plus grand aéroport du monde est à Dubaï. L'accord va toutefois introduire un élément d'équilibre.
Il ne s'agit pas d'une défaite mais plutôt d'un retour à un équilibre. On comprend que ces monarchies soient tristes de voir se terminer les «35 glorieuses» durant lesquelles tout leur était permis. Maintenant il faudra compter avec l'Iran. Tout ne sera plus comme avant.
Concrètement, que va changer le retour de l'Iran sur la scène régionale ?
Enormément de choses. Jusque-là, l'Iran n'existait pas sur la scène l'internationale autrement que par des actions non gouvernementales (soutien au Hezbollah, aux Houthis et au gouvernement irakien dans sa lutte contre l'EI). Désormais, l'Iran pourra agir comme un Etat souverain. Cette nouvelle donne change beaucoup de chose notamment concernant Daech.
Le fait que l'Iran soit désormais un pays normal avec lequel on peut discuter au niveau international est essentiel, non pas tellement pour l'Iran et les monarchies du Golfe, mais pour la Syrie et pour l'Irak. C'est là un changement très important car le rapport de force sera désormais bien équilibré entre l'Arabie Saoudite et l'Iran. Mais l'Iran peut cesser d'être un ennemi et devenir un partenaire.
D'après vous, comment évolueront les relations irano-américaines à l'avenir ? Est-il possible qu'un jour, elles supplantent les relations américano-saoudiennes ?
Il y aura un phénomène de balancier bien évidemment mais pas complètement. Les relations entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis sont essentielles et elles le resteront. Elles étaient fortes avec l'Iran aussi à l'époque du Shah où l'équilibre était maintenu.
Donc les choses vont se maintenir. Un conflit de 35 ans ne s'efface pas en quelques minutes. Par ailleurs, la politique américaine n'est pas la politique iranienne notamment concernant Israël. Il ne faut pas s'attendre à une lune de miel irano-américaine. En revanche, il y aura une normalisation des relations économiques.
La société iranienne, en particulier les jeunes, a attendu avec beaucoup d'impatience cet accord ? Pensez-vous que le retour de l'Iran sur la scène internationale s'accompagnera d'une plus grande ouverture de la société iranienne ? Le clergé chiite continuera-t-il à lâcher du lest ?
Les amis Iraniens qui m'envoient actuellement des mails sont débordants de joie. Ils disent : «Enfin, nous sortons de prison !»
Les Iraniens avaient l'impression pendant toutes ces années d'être en prison.
C'est une bonne nouvelle pour toute la société. Pour les radicaux qui étaient opposés à ces accords et bien ces gens-là ont perdu. Mais ils voudront se rattraper dans les domaines des libertés, des droits de l'homme et culturel. Ils chercheront à exercer leur censure car ce sont des secteurs qui sont actuellement sous leur contrôle. Ils ont un grand pouvoir de nuisance et jouissent de beaucoup moyens. Dans le contexte d'ouverture que l'on voit actuellement, il se peut donc que l'on assiste à des tentatives de verrouillage du champ des libertés. Mais je pense que cela sera du court terme. L'accord conclu à Vienne n'est pas un accident historique.
C'est la suite d'un processus important. La société iranienne a imposé cet accord à tout le monde. C'est aussi une victoire de politique interne en Iran. L'Iran a changé de logiciel politique.


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