L'isolement de l'Iran est fini. Les puissances occidentales ont mobilisé tous les moyens possibles pour mettre à genoux ce pays, mais en vain. Depuis la révolution iranienne en 1979, l'Occident a décidé de punir les Iraniens pour avoir mis un terme à leur influence sur un pays stratégique dans la guerre froide contre l'URSS et la Chine. Le péril vert invoqué par les détracteurs de l'Iran, n'était qu'un prétexte pour tromper l'opinion mondiale. Le même Occident n'a pas hésité à mobiliser les islamistes de tous bords pour combattre l'URSS en Afghanistan, permettant ainsi à l'islam radical de prendre du poil de la bête et de menacer tous les pays musulmans anti-impérialistes et jaloux de leur souveraineté sur leurs richesses, sur leur destinée et qui défendent sans relâche leur droit au développement et à l'émancipation technologique et scientifique. Au-delà des choix politiques des Iraniens qui restent les seuls responsables des orientations idéologiques de leur Etat, le pays a décidé de s'émanciper à travers la maîtrise des technologies nucléaires en engageant un programme ambitieux provoquant la colère de l'Occident et d'Israël. Depuis, l'Iran fait face à un isolement diplomatique et économique drastique. L'accord conclu à Genève le 24 novembre 2013, est entré hier dans sa phase pratique obligeant l'Iran à geler depuis hier une partie de ses activités nucléaires pour six mois, en échange d'une levée partielle des sanctions qui frappent son économie, première étape vers la négociation d'un compromis à plus long terme. Les inspecteurs de l'Aiea, l'Agence spécialisée de l'ONU, sont à pied d'œuvre à Téhéran depuis samedi. Leur mission est de rendre compte, depuis hier, des mesures concrètes prises par le pays pour respecter sa part de l'accord. Le pas est mesuré, mais l'objectif final est ambitieux : mettre fin à dix années de bras de fer entre l'Iran et les grandes puissances à propos du programme nucléaire de Téhéran. Le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, a ainsi dit dimanche dernier espérer que le processus enclenché donnera «des résultats positifs pour le pays, mais aussi pour la paix et la sécurité dans la région et dans le monde». Le chemin à parcourir durant les six prochains mois est semé de nombreux écueils susceptibles d'enrayer le processus, à commencer par d'éventuelles nouvelles sanctions que déciderait le Congrès américain contre la République islamique. L'accord conclu le 24 novembre à Genève par Téhéran et les 5+1 -Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne- prévoit la limitation de l'enrichissement de l'uranium par Téhéran à de faibles niveaux. L'enrichissement, effectué à l'aide de centrifugeuses, est au centre des inquiétudes de la communauté internationale, car un uranium hautement enrichi peut servir à la fabrication d'une bombe atomique, même si la République islamique a toujours nié vouloir se doter d'un arsenal nucléaire. L'Iran s'est également engagé à limiter l'enrichissement d'uranium à 5%, transformer son stock d'uranium à 20%, geler à leur niveau actuel ses activités dans les sites de Natanz et Fordo ainsi qu'au réacteur à eau lourde d'Arak, et à mettre un terme à l'installation de nouvelles centrifugeuses dans ces sites. En échange, les six puissances diplomatiques vont lever, sur la période intérimaire de six mois, une partie de leurs sanctions, pour un ensemble de près de 7 milliards de dollars (plus de 5 milliards d'euros). Cela inclut notamment la levée des restrictions sur les exportations pétrochimiques, le commerce de l'or, le maintien des exportations de pétrole à leur niveau actuel, la levée les sanctions contre l'industrie automobile et le déblocage graduel de 4,2 milliards de dollars des avoirs iraniens gelés dans le monde. L'essentiel des sanctions, maintenu pour le moment, va toutefois priver l'Iran de 30 milliards de dollars de revenus provenant du pétrole pendant les six mois, tandis que la plupart des avoirs iraniens à l'étranger (près de 100 milliards de dollars) resteront gelés, a souligné la Maison- Blanche. Pour pouvoir accéder à ces fonds, et pour une levée totale des sanctions, Téhéran devra accepter des restrictions plus importantes et permanentes de ses activités nucléaires. Selon Mark Fitzpatrick, ancien responsable au département d'Etat américain et désormais analyste à l'Institut international d'études stratégiques (Iiss), les puissances occidentales voudront une réduction drastique du nombre de centrifugeuses à 3 000 ou 4 000, contre 19 000 actuellement. Elles devraient également demander l'arrêt définitif de la centrale d'enrichissement de Fordo, des modifications du réacteur à eau lourde d'Arak, actuellement en construction, pour qu'il ne puisse pas produire du plutonium utilisé pour une bombe nucléaire, et la réduction du stock d'uranium enrichi jusqu'à 5% de sorte qu'il soit insuffisant à la fabrication d'une bombe. Les tenants de la ligne dure en Iran, où le programme nucléaire est vu comme une source de fierté nationale, pourraient considérer ces exigences comme trop importantes. De l'autre côté, elles pourraient être vues comme bien trop tièdes aux Etats-Unis et en Israël. Le président américain, Barack Obama, qui essaie de persuader les élus américains de ne pas voter de nouvelles sanctions, a estimé en décembre à «50-50» les chances de conclure un accord. Une estimation jugée «extrêmement optimiste» par Mark Fitzpatrick, tandis que le président iranien, Hassan Rohani, a prévenu que la route vers un accord serait «longue». La mise à nu des monarchies du GolfeL'alliance stratégique et inconditionnelle des pays du Golfe avec les Etats-Unis est antérieure à la pseudo menace iranienne. Les monarchies pétrolières se sont mises sous la casquette américaine depuis leur avènement et ont toujours servi les intérêts stratégiques et géopolitiques américains et britanniques dans la région. Ces mêmes pays ont activement soutenu et aider les Etats-Unis lors des deux agressions contre l'Irak comme ils continuent à le faire depuis 2011, dans la déstabilisation de la Syrie. Mais les monarchies du Golfe ne s'attendaient pas à la volte face américaine en particulier, et à un dégel entre Washington et Téhéran. C'est ce qui explique leurs craintes des conséquences géostratégiques du récent réchauffement des relations entre les Etats-Unis et l'Iran. Aveuglés par leur haine viscérale des chiites, les monarchies sunnites estiment que le rapprochement entre les Etats-Unis et l'Iran permettra à ce dernier d'accéder à la bombe nucléaire, ce qui renforcerait son pouvoir dans la région, selon plusieurs médias arabes. «Tous les gouvernements dans les Etats sunnites modérés, particulièrement dans le Golfe, sont très inquiets du dégel des relations entre l'Iran et les Etats-Unis», a commenté un responsable israélien, sous couvert d'anonymat, cité par le quotidien israélien Haaretz. «Ils craignent qu'un accord américano-iranien soit signé à leurs dépens. La pression n'est pas palpable à Jérusalem uniquement, mais aussi dans le Golfe. Ils sont en train de mouiller leur pantalon», a-t-il ajouté. La semaine dernière, des entretiens ont eu lieu entre responsables et diplomates israéliens et officiels issus des pays du Golfe, de Jordanie et des Emirats. Ce qui est ressorti de ces réunions est une crainte mutuelle des contacts entre la République islamique et les Etats-Unis, émanant notamment des dirigeants d'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis. Selon l'officiel israélien cité par Haaretz, l'ambassadeur d'Arabie saoudite à Washington, Adel al Jubeir, a rencontré des représentants israéliens en demandant des clarifications sur les positions des Américains à l'égard de l'Iran. Alors que leurs dirigeants se sont bien gardés de montrer tout signe d'alerte, les médias des pays du Golfe ont révélé l'inquiétude provoquée par les dernières déclarations du président iranien, Rohani, sur son projet nucléaire. Suite au discours de Rohani, Jamal Khashoggi, journaliste en mission à Londres pour le journal saoudien Al-Hayat a titré : «Nous paniquons», alors que les signes de réconciliation entre l'Iran et les Etats-Unis se multiplient. Selon le prince saoudien, Turk al-Faisal, ancien ambassadeur aux Etats-Unis et actuel chef des Renseignements saoudiens cité par Khashoggi : «l'Iran est un tigre de papier». Le chef du quotidien Al Arabiya, Abdul Rahman al Rashed, a écrit dimanche dans un article : «Ce qui fait peur en réalité dans le discours d'Obama est sa position sur l'Iran.» Faisant notamment écho au Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qui se montre également pessimiste sur les intentions du président iranien Rohani, al Rashed a affirmé que l'Iran «continue de gagner du temps dans le but d'obtenir l'arme nucléaire». «Mais la question est : de combien de temps ont-ils encore besoin pour fabriquer l'arme nucléaire ? Un an ou deux ? Rohani a déclaré qu'il avait besoin d'un an pour trouver une solution au projet du nucléaire iranien, mais pourquoi aurait-il besoin de tout ce temps?», a-t-il indiqué. Le journal Golf News, basé à Dubaï, a de son côté estimé, dans un éditorial, que ce rapprochement constituait «une chance de mettre fin au bain de sang en Syrie», soulignant qu'un programme nucléaire iranien supervisé par la communauté internationale serait le bienvenu. La journaliste Raghida Dergham a rappelé dans le quotidien saoudien Al Hayat que le Président américain n'avait même pas accepté de serrer la main du son homologue iranien. La presse iranienne a quant à elle présenté les Etats du Golfe comme «perdants» face aux dirigeants iraniens, qui ont non seulement réussi à écarter la frappe américaine en Syrie mais qui ont également créé une ouverture avec l'Occident, qui pourrait permettre d'assouplir les sanctions dont leur pays fait l'objet. Ainsi, l'Iranian Press TV a parlé d'«un échec des politiques de l'Arabie saoudite», qui pourrait conduire à son isolement. «Le régime saoudien est le grand perdant des récents développements au Moyen-Orient», poursuit l'article du média iranien. «L'accord entre la Russie et les Etats-Unis, qui a permis d'avorter la frappe américaine en Syrie, a écarté les Saoudiens qui comptaient sur cette intervention pour renverser Assad». «En outre, les Saoudiens comptaient sur les Etats-Unis pour s'attaquer avec vigueur à la question du nucléaire iranien», affirme l'article. A. G.