La Turquie a mis, hier, les choses au clair. Il était temps depuis que son aviation est engagée contre l'organisation EI, mais aussi contre le PKK, le mouvement armé kurde. Aussi assurait-on de manière officielle, à Ankara, que les opérations militaires menées depuis quelques jours en Syrie et en Irak ne visaient pas les Kurdes de Syrie. Cette mise au point intervenait à la suite d'informations faisant état d'un bombardement turc sur un village tenu par les milices kurdes syriennes. «Les opérations en cours visent à neutraliser des menaces contre la sécurité nationale turque (...). Le PYD (principal parti kurde de Syrie) avec d'autres ne fait pas partie des objectifs de nos opérations militaires», a déclaré un responsable. «Au lieu de s'en prendre aux positions occupées par les terroristes de l'EI, les forces turques attaquent nos positions de défense», déclaraient peu auparavant les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes. Après l'attentat-suicide meurtrier, attribué à l'EI, qui a fait 32 morts il y a une semaine à Suruç, en Turquie, le gouvernement turc a lancé des raids aériens contre des positions de l'EI en Syrie, mais aussi des bases arrière du PKK dans le nord de l'Irak. Pourquoi les uns et les autres, des propos accompagnés d'une forte suspicion, laissant croire que ce sont beaucoup plus les seconds qui étaient visés, les raisons ne manquant pas à ceux qui font une telle lecture. Ceux-là considèrent que cette double opération vise d'abord à empêcher les Kurdes d'étendre leur influence dans le nord de la Syrie. «Ce gouvernement a mis sur un même pied le PKK et l'EI et, même si les deux organisations sont totalement différentes, ça sert les intentions du gouvernement», estime Marc Pierini, de la fondation Carnegie Europe. Pour David Romano, de l'université d'Etat du Missouri (Etats-Unis), la priorité turque ne fait plus aucun doute : les rebelles kurdes d'abord, les djihadistes ensuite. «Ankara fait d'une pierre deux coups», estime ce spécialiste du mouvement kurde. Depuis les défaites des djihadistes à Kobane puis à Tall-Abyad, Ankara s'inquiète de la progression des milices kurdes dans le Nord et la Syrie et souhaite éviter à tout prix la constitution d'une région autonome kurde à sa frontière. L'évolution était perceptible depuis, à vrai dire, novembre 2012, quand le chef de l'Etat syrien avait retiré son armée des zones de peuplement kurde pour confier la sécurité de ce territoire aux milices kurdes. Très rapidement, la Turquie a cru devoir mettre les choses au clair en dévoilant ses craintes de ce qui pourrait, selon elle, être la suite logique de l'engagement des milices kurdes de Syrie dans la guerre qui ravage ce pays en faisant état de son hostilité à l'annonce d'une administration autonome dans le nord syrien, et qu'elle «ne peut permettre un fait accompli». Ce message a été réitéré il y a un mois par le chef de l'Etat turc, affirmant que la Turquie ne permettrait jamais l'établissement d'un Etat kurde en Syrie, aux portes de la Turquie. Et cela, a-t-il dit, «quel que soit le prix à payer». Dans le même temps, M. Erdogan a une nouvelle fois démenti toute complaisance d'Ankara à l'égard des djihadistes : «C'est une grande calomnie d'accuser la Turquie d'avoir des liens avec une quelconque organisation terroriste» en Syrie. Quant aux forces kurdes en Syrie (YPG), elles entretiennent des relations avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mais excluent la création d'un Etat kurde syrien. «Nous n'avons pas de tel projet», a récemment déclaré son leader. Un jeu déjà brouillé par le retrait syrien des zones kurdes en 2012 et qui tend à se compliquer davantage. Quelles en seront les conséquences, se demande-t-on depuis des années déjà.