Cela faisait des années que Aziz Chouaki, auteur de théâtre prolixe, n'était pas venu à Avignon. Cette année dans le «off» il a présenté El Maestro, et dans le «in», Esperanza, avec la force de dérision qu'on lui connaît. Les années n'y peuvent rien. L'esprit éternellement juvénile de Aziz Chouaki résiste au temps. Tout au plus sent-on dans ses derniers textes un peu d'amertume et de dureté que camoufle le ton de l'ironie qu'il affectionne, loin du pathos. C'est vrai dans El Maestro dont il a assuré la mise en scène et la régie au festival «off» d'Avignon. Ce maestro, interprété par un magnifique Mouss Zouheyri, on le suit lors d'une répétition prétexte à une critique sociale au vitriol enrobé de miel, le sucre de la parole étant un antidote contre le fiel. «Ce maestro, il nous ressemble. C'est comme si on avait fracassé son rêve d'adolescence, son identité sensorielle et tout et tout... Donc, il essaie de reconstituer cela avec des éclats de mémoire, des sensations», nous a confié Chouaki à l'issue d'une représentation. Loin de la ville au jasmin depuis au moins 25 ans, le dramaturge reste proche d'Alger, cette cité d'enfance et de maturité qui ne le lâche pas d'une semelle dans son exil. Il nous cite Camus qui avait dit : «Après Alger, toutes les villes sont d'exil.» Et il précise : «Alger est une ville magnifique. Dommage qu'on ne la maintienne pas comme on le devrait.» Dans la pièce, il met le doigt sur sa douleur. Il projette un cri d'amour sincère pour l'Algérie. «La nostalgie, c'est ce qui me permet de tenir debout et, en même temps, j'éprouve du regret. On devrait avoir plus d'éthique, plus de respect pour les choses qu'on a au Maghreb, dans le Monde arabe en général.» S'il écrit fort et tendre (25 pièces en trente ans), «c'est pour rectifier une mauvaise image qu'on donne à l'Occident, alors qu'on mérite mieux que ça. Comme les enfants, il faut nous engueuler et nous dire de cesser de faire l'idiot…» Pour Mouss Zouheyri, «le texte est universel. Il me rappelle des souvenirs de gosse au Maroc. J'ai dit à Aziz que j'avais retrouvé une sensation que je n'avais pas eu depuis longtemps, l'odeur de la mer. Je suis né au bord de l'océan à Casablanca. Le texte m'a replongé dans ces odeurs-là, le goût du sel marin». L'acteur a déjà visité l'Algérie à plusieurs reprises pour des tournages de films, dont le prochain sera réalisé bientôt : «J'aime l'énergie du texte. Je trouve que c'est aussi fort qu'une écriture à la Molière, une écriture avec laquelle on ne peut pas tricher. L'écriture génère du physique, elle n'est pas inerte. Il faut la mastiquer, la danser, la jongler, elle oblige, cela permet de rester debout, digne. Rien qu'avec la langue il est riche.»