La Russie a mené ses premières frappes en Syrie mercredi et hier, ciblant des positions de Daech à la demande du président Bachar Al Assad. Une initiative qui a suscité la méfiance en Occident. D'ailleurs, les Etats-Unis et la Russie se sont mis d'accord pour organiser au plus vite une rencontre entre leurs militaires. «Conformément à la décision du commandant en chef suprême des Forces armées de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, les avions des forces aérospatiales russes ont aujourd'hui lancé une opération aérienne comprenant des frappes ciblant des bases de combattants du groupe EI situés sur le territoire de la République arabe syrienne», a fait savoir le porte-parole du ministère russe de la Défense mercredi dernier. Ce jour-là, la Chambre haute de la Fédération de Russie vote à une grande majorité l'autorisation pour l'armée de l'air russe d'opérer hors de ses frontières. Les avions stationnés dans la base aérienne Bassel Al Assad près de Lattakieh dans l'Ouest syrien ont même mené un premier raid aérien contre des cibles rebelles à Homs quelques minutes après le vote, en demandant aux Etats-Unis de se retirer de l'espace aérien syrien. Comment en est-on arrivé là ? Cette montée en puissance subite de la Russie dans le dossier et sur le terrain syriens ne s'est pas faite en un jour et pourrait déboucher sur une coalition inédite pour sortir Bachar Al Assad du pétrin. Tout a commencé entre les mois de mars et mai, avec les succès de Jabhat Al Nusra à Idlib et ceux de l'Etat islamique à Palmyre, c'est la route ouverte sur la prise de Damas et la Syrie maritime. Cargos Le 20 août, le Nikolai Flichenkov, un navire de débarquement russe, franchit le Bosphore, à son bord et à l'abri des regards des véhicules blindés et des renforts en hommes. Ce sont des commandos de marine, pari l'élite russe. A peine quatre jours plus tard, une vidéo montre ces mêmes hommes et ces équipements engagés dans des combats sur les crêtes surplombant Lattakieh, dans une ambiance bon enfant, les ordres sont stricts, tout indique dans l'attitude des hommes qu'ils sont là pour rester. L'explication de cette réaction impromptue de Moscou est, selon les experts, la défense du périmètre de sa base navale de Tartus et des aéroports qui servent à son approvisionnement. En parallèle, des hommes du génie militaire russe sont débarqués à l'aéroport international de Damas et surtout à l'aéroport Bassel Al Assad de Lattakieh, pour superviser des travaux d'extension des zones de stationnement des appareils de guerre, mais aussi pour y installer des défenses anti-aériennes. La première quinzaine de septembre connaîtra de nombreux vols de cargos militaires russes en direction de la Syrie au point que Washington avait ordonné à la Grèce de fermer son espace aérien aux appareils russes. A la mi- septembre, les Russes changent de tactique et envoient à partir de leurs bases de Crimée et du Sud une quarantaine d'avions. OTSC C'est un détachement impressionnant de Chasseurs Su30SM, de bombardiers Su24 et ensuite Su34, d'avions d'attaque au sol Su25 et d'hélicoptères de transport Mi171 et d'attaque Mi24. L'armada est suivie au sol par le déploiement très discret de postes de commandements opérationnels, de centraux de communications tactiques et stratégiques, de systèmes de brouillages, de drones et enfin de systèmes de défense aérienne S300. Sur le terrain politique et diplomatique, Vladimir Poutine a choisi de jouer sur deux fronts, d'abord en agissant sur demande du président légitime syrien Bachar Al Assad, il évite l'écueil de la résolution de l'ONU, nécessaire pour toute intervention contre un pays étranger. Deuxièmement, il donnera un caractère international à son action en deux temps, le 15 septembre en obtenant à Douchanbe l'accord unanime des chefs d'Etat de l'Organisation du traité pour la sécurité collective pour participer à une coalition militaire en Syrie, puis en renouvelant cette demande de participation, le 28 septembre, sur l'estrade de l'ONU à tous les pays désirant la rejoindre. Du coup, l'on s'achemine vers une coalition élargie comprenant la Syrie, peut-être l'Irak qui donne des signaux positifs, l'Iran, les pays de l'OTSC, la Chine et la Serbie qui voient d'un bon œil cette opération mais aussi des pays comme Cuba et le Venezuela qui pourraient aussi participer. Du côté des pays arabes, seule l'Egypte a montré un intérêt. Troupes Pour l'heure, l'effort russe sur le terrain tournera autour de la sécurisation de la bande côtière au sol et frappera les regroupements de troupes des différents groupes terroristes et la destruction par la voie des airs de leurs équipements lourds et de leurs infrastructures de communication et de commandement. Cela se traduira aussi, on le voit par le grand nombre d'avions de combat rapproché déployés, par l'accompagnement des contre-attaques de l'Armée arabe syrienne sur ses différents fronts et le désenclavement des garnisons et bases aériennes encerclées à l'intérieur du pays. Les observateurs attentifs de la chose militaire auront tout de même constaté que lors du Russian Arms Expo, énorme Salon de l'armement terrestre qui a eu lieu en Russie le 10 septembre, que l'armée russe a mis en place un jeu de guerre très réaliste, mettant en opposition une force terroriste très similaire à Daech, à l'armée russe au sol. L'entrée en jeu de la Russie dans le conflit est un véritable tournant, si en plus Moscou réussit le pari de cristalliser des pays non ou peu alignés autour de ce projet, c'est la carte géostratégique de la planète qui en sera marquée pour longtemps. Pour la Syrie, cela poussera le monde à reconsidérer le degré de légitimité de Bachar Al Assad.