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Abderrahim Tabani, une leçon de vie
L'unique bachelier ataxique réclame l'aide de Hadjar
Publié dans El Watan le 07 - 10 - 2015

Il en va de certaines existences comme des leçons de vie. Le courage, l'abnégation, la persévérance et le dur labeur sont des nobles qualités encore sublimées lorsqu'elles transcendent le malheur. La famille Tabani a le mérite par son combat au quotidien, de réveiller les consciences. Faisant fi de son infirmité — l'ataxie cérébelleuse — les parents luttent contre le destin et offrent à Abderrahim une vie «normale». Et lui, en signe de gratitude, fait mieux : il est l'unique algérien atteint de cette maladie à avoir décroché le baccalauréat. Mais reste encore un défi, celui d'assurer à ce prodige une autre vie d'indépendance. Et ce dernier challenge est tributaire d'une griffe. Une simple signature. Celle de Monsieur Hadjar, le ministre de l'Enseignement supérieur.
Une hypotonie mal diagnostiquée l'atteint dès ses premières semaines d'existence, un certain mois de mai 1996. L'erreur de diagnostic fera de lui, plus tard, un ataxique. Depuis la découverte de ce mal, le parcours du combattant commence. Le premier combat est mené contre le système de santé. «On a vendu nos biens pour pouvoir le soigner en France, car en Algérie, les soins étaient impossibles», raconte avec amertume le père. Après moult déboires, les parents découvrent que «Abderrahim ne pourra jamais écrire».
L'ataxie cérébelleuse, une maladie qui a atteint son système nerveux, a engendré des troubles de la parole et un manque de coordination de ses mouvements volontaires. Ainsi, l'aîné des quatre enfants Tabani, ne pourra ni parler de façon claire ni écrire aisément. Deux handicaps qui conduiront la famille dans un autre combat, celui de sa scolarité. En fait, la lutte de ces parents est pleine de vie.
Cette vie faite de frustrations et de bonheurs, au gré des rencontres et des portes ouvertes par la force de l'audace. «C'est lors d'une hospitalisation d'un de mes enfants, que la maman d'Abderrahim rencontre une femme officier de l'armée», se souvient le papa. En sympathisant, la dame insiste pour inscrire les deux enfants (dont Abderrahim) dans une crèche pour les enfants des officiers supérieurs de la Gendarmerie nationale. «Dans cette crèche, on a mis une nourrice exclusivement à sa disposition. C'était la première fois qu'on avait l'occasion de se séparer d'Abderrahim pour la journée», se souvient la maman. Plus tard vint le défit de la scolarisation.
Comme les établissements publics sont inaptes à accueillir les élèves aux besoins spécifiques, l'option du privé sonnait donc comme une évidence. Et là encore, autant de frustrations que de soulagements. «Certaines écoles privées sont des commerces. Pour éviter d'inscrire mon fils, ils trouvaient tous les prétextes indignes. Pas de place, pas de classe…», dénonce le père. Comble du mépris et de la lâcheté. «Face à ces refus, on ne cherchait plus après la qualité de l'enseignement, mais juste une place.
Une chaise pour Abderrahim», se désole le père, contraint à quémander un droit constitutionnel, même au prix fort. Mais devant le handicap scriptural de l'enfant, ce dernier devait demander à ses camarades de lui prêter leurs cahiers pour qu'une fois à la maison, les parents retranscrivent les cours. «Au début, les camarades de Abderrahim étaient compréhensifs. Mais ensuite, une certaine méchanceté de la société émerge. Des parents ne demandaient pas moins que l'exclusion de l'enfant, pourtant brillant élève. Il était devenu indésirable», se désole la maman.
Parfois, après d'âpres luttes, les désagréments viennent de là où on s'attend le moins. «Il fallait donc une auxiliaire scolaire pour mon fils» et commence alors un autre long processus. A la direction de l'action sociale et au ministère de la Solidarité nationale, les Tabani courent pour se voir désigner une personne. «Il n'est pas aisé de trouver une bonne auxiliaire responsable et dévouée. Il faut dire que la rémunération de 6000 DA par mois ne les comble pas de bonheur», affirme M. Tabani, compréhensif. Mais, au gré d'une rencontre, ces parents trouvent une «perle» : une dame de 52 ans, licenciée en lettres en 1996, qui adopte l'enfant, l'aime et le suit comme son propre fils.
Ainsi, à force de volonté, de lutte et d'amour Abderrahim obtient son BEM avec mention très-bien et une moyenne de 16/20. Il poursuit son challenge jusqu'à être le premier bachelier algérien dans la filière scientifique dans son cas avec une moyenne de 11,38/20. «Sur les plus de 830 000 candidats au bac, il était le seul à avoir cette infirmité. Sur les 500 bacheliers présentant un handicap, il était l'unique ataxique», révèle fièrement M. Tabali, mentionnant l'Office national des examens et concours (ONEC).
La terminale
Enfin la terminale, l'année du bac et du stress. «Abderrahim était tétanisé par la peur et l'angoisse», sourit aujourd'hui le papa. Le jeune prodige passait ses nuits à réviser. A cause de son incapacité d'écrire, les parents lui procuraient des feutres pour pouvoir noter avec ses gestes imprécis sur un tableau. «Sa chambre était toute griffonnée de bleu. Il a écrit sur tous les murs», plaisante encore le père, sous le regard amusé de la maman et du jeune homme.
Les handicaps ont développé chez Abderrahim de formidables capacités mentales. Il arrivait à résoudre des équations mathématiques et des fonctions mentalement. «Le plus dur, ce sont les suites», grimace le bachelier. Mais dans quelles conditions ce jeune ataxique pouvait-il passer l'examen ? «On est allé voir l'ONEC pour nous s'enquérir des formalités, dispositions et autres mesures», se souvient le papa. Devant tant de questions, le secrétaire général de l'Office leur répond qu'en quinze années de poste, il n'a jamais eu «un cas pareil».
Dans le manuel du bac, régissant les modalité de passage de l'examen, figurent bien des dispositions particulières pour les personnes invalides ou aux besoins spécifiques momentanés ou définitifs. «Il est prévu des adaptations pour les non-voyants, les handicapés moteurs ou les accidentés. Mais pour un ataxique, rien n'était prévu», se souvient M. Tabani. Abderrahim ouvrait droit donc à une auxiliaire d'éducation pour l'examen, seulement, il devait passer les mêmes épreuves que les candidats valides. «Dessiner des graphes, des cellules et autres étaient donc des épreuves irréalisables pour lui, même aidé d'une autre personne», déplore-t-il encore.
Et comme les handicaps du jeune homme nécessitaient une auxiliaire de confiance et pouvant comprendre ses mots, la famille a dû faire des pieds et des mains pour arracher une dérogation spéciale délivrée par les ministres de la Solidarité et de l'Education nationale. «On a frappé à toute les portes. On a été refoulés», assure le papa avec amertume. Mais il ne baisse pas les bras et tente l'audace.
Lors d'un hommage — médiatisé — à des orphelins lauréats des classes d'examen, Abderrahim s'incruste dans le bus menant ces enfants au ministère de la Solidarité. «Il est monté dans le transport. Une fois devant la ministre, il l'a interpellée avec cran. Cette dernière a ordonné à un haut cadre du ministère de le prendre en charge.» Le même responsable qui les avait chassés de son bureau quelques jours auparavant les reçoit alors avec force respect. «Certaine personnes sont dénuées de tout sentiment. Ce responsable, père d'un autiste, ose nous dire, au cours de la discussion, bassement : quand on a des enfants pareils, parfois on leur souhaite la mort !» raconte la maman d'Abderrahim, outrée.
Quand une telle horreur est prononcée par un haut cadre du ministère de la Solidarité, cette institution en charge justement des personnes aux besoin spécifiques, on ne peut que rester pantois. Mais Abderrahim décroche enfin ses dérogations, il passe son bac et l'obtient courageusement. «A l'annonce des résultats, Abderrahim était bouleversé. Non pas de bonheur, mais de tristesse. La moyenne obtenue ne correspondait pas à ses capacités et à ses efforts. Elle ne suffisait pas pour s'inscrire dans la filière qu'il voulait», déplore la maman. Abderrahim voulait au départ être médecin, professeur d'université ou imam.
Mais face à ses handicaps, ces fonctions lui étaient inadaptées. «Des décennies de réflexion autour de son cas ont été nécessaire pour trouver la filière qui lui garantirait ensuite l'indépendance», argue M. Tabani : seule la pharmacie lui assurerait un avenir. Dans une officine, il ne devra ni écrire ni parler, juste consulter l'ordonnance et demander à un de ses employés de la satisfaire ou de concocter un mélange. «Il a été orienté vers des études économiques. Il ne fera rien de ces études. Nous avons pensé à la pharmacie pour des raisons pratiques. Si quelqu'un nous désigne un autre métier adapté à son mal on est preneur», explique le papa.
Une autre course est alors entamée. Les Tabani tentent de voir toutes les personnalités capables de satisfaire ce besoin. Au cours d'un parcours épique, ils adressent une lettre au ministre de l'Enseignement supérieur. Seul lui est capable par une signature, une mesure exceptionnelle mais possible, de donner ce sésame. «On a été vraiment déçus de la réponse. La lettre nous demandait de nous contenter de la filière dans laquelle Abderrahim était inscrit.
Je pense que le ministre appréhendait l'ouverture d'une brèche vers le favoritisme et le clientélisme. Je le comprends, mais s'il avait juste rencontré Abderrahim il comprendrait qu'il n'y a rien de cela. Que la note obtenue par mon fils est aussi et surtout due à l'absence de mesures adéquates pour son cas à l'examen du bac», affirme M Tabani.
«Je suis prêt, Monsieur le ministre, à prendre le risque. Je m'engage personnellement, si je n'obtient pas au moins un 10/20 pour ma première année de pharmacie, de quitter la fac. Donnez-moi une chance», déclare Abderrahim.
Devant le combat de cette famille, son abnégation, son parcours, offrir une chance à Abderrahim qui concentre à lui seul plusieurs valeurs dont la société a besoin, une signature du ministre ne peut être en aucun cas synonyme de favoritisme. Ce serait juste une réparation de préjudice causé d'abord par une erreur médicale, ensuite par l'inadaptation du système éducatif pour ce genre de handicap. Et si par malheur, une personne osait s'indigner, elle serait alors elle-même indigne d'être écoutée.


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