Madani Mezrag menace l'Etat et son chef sur un plateau de télé et étrangement, c'est la chaîne El Watan TV qui est poursuivie en justice. Le ministre de la Communication, Hamid Grine, porte plainte contre la chaîne de télévision via laquelle l'ancien chef terroriste, Madani Mezrag, a tenu des propos contre le président Abdelaziz Bouteflika le menaçant de «lui faire entendre ce qu'il n'a jamais entendu jusqu'alors». Le ministère de la Communication a décidé de porter plainte contre la chaîne El Watan TV pour avoir diffusé des propos d'un invité qui a «porté atteinte aux symboles de l'Etat et de la République», a déclaré hier M. Grine au cours du forum du quotidien gouvernemental El Moudjahid. Et pendant ce temps, l'ancien chef de l'organisation terroriste, Armée islamique du salut (AIS), responsable des propos jugés «attentatoires au symboles de l'Etat» n'a ni été rappelé à l'ordre ni poursuivi en justice. Le gouvernement, auquel appartient Hamid Grine, est visiblement de plus en plus embarrassé par le cas «Mezrag». Sinon comment attaquer la chaîne de télévision et ne pas poursuivre son invité du jour qui «bombe le torse» contre M. Bouteflika ? Et surtout sur quelle base juridique se fonde le ministre de la Com' pour traîner devant les tribunaux une télévision ? Cette nouvelle affaire révèle une fois de plus le caractère politique dans l'application de la loi. Le ministre de la Communication, qui évite soigneusement de s'attirer les foudres d'un Madani Mezrag de plus en plus «menaçant» depuis quelques semaines, se cache derrière le statut «informel» de la chaîne de télévision. «C'est une chaîne qui travaille de manière informelle et illicite, et je pèse mes mots», s'est-il justifié. Il est vrai que la quasi majorité des chaînes de télévision privées et qui sont du droit étranger exercent en Algérie sans accréditation et cela le ministre de la Communication ne l'ignore pas. Il a laissé faire l'informel télévisuel. Il avait même déclaré au lendemain de sa nomination que «ces chaînes travaillent sans accréditation mais on les laisse faire tant qu'elles ne dépassent pas les lignes rouges». C'était au forum de Liberté Il a donc assumé une situation de non-droit alors qu'un membre du gouvernement est censé faire appliquer la loi. La logique voudrait que si délai il y a, c'est à Madani Mezrag de répondre devant un tribunal et non pas à la chaîne intervieweuse. Car du point de vue de la loi, l'ex-chef de l'AIS n'est pas frappé d'interdiction de s'exprimer publiquement. Et si en effet le chef de l'Etat a levé l'équivoque dans un récent message sur l'interdiction faite à l'ancien chef terroriste de créer un parti politique, il n'en demeure pas moins que les autorités politiques entretiennent une ambiguïté déconcertante. Il a été autorisé à tenir un congrès clandestin dans un maquis, reçu à la présidence de la République en qualité de «personnalité nationale» pour donner son avis sur le projet de la révision de la Constitution. La justice doit, et de manière formelle, dire et trancher de manière définitive, si Madani Mezrag, ancien chef d'un groupe terroriste repenti, a le droit de faire de la politique ou non. A-t-il le droit de s'exprimer publiquement sur les médias ou non ? Il suffit pourtant d'appliquer strictement une des dispositions de la charte de la réconciliation nationale qui stipule dans son article 26 que «l'exercice de l'activité politique est interdit, sous quelque forme que ce soit, pour toute personne responsable de l'instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale». Mezrag est directement concerné par cette disposition. Et les juristes sont unanimes à affirmer que «l'amnistie n'est pas synonyme de réhabilitation». Mais vu que Madani Mezrag a été jusqu'ici utilisé par les décideurs comme carte politique et au gré des conjonctures, tantôt comme preuve de succès de la politique de réconciliation nationale et tantôt comme «chiffon rouge» agité contre la demande démocratique, l'ex-chef terroriste finit, dans la plupart des cas, par retourner la situation en sa faveur, en se jouant des faille du système et de ses ambiguïtés, voire de ses contradictions. C'est là que réside le fond du problème, et traîner devant les tribunaux une chaîne de télévision n'est guère une solution.