Un colloque sous l'intitulé «L'exercice de l'autorité dans les mondes musulmans d'aujourd'hui» a été organisé à Oran les 12 et 13 octobre. Organisé par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) en collaboration avec l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), Diraset-études maghrébines, la fondation Hanns Seidel (pour la Tunisie) ainsi que le centre Jacques Berques de Casablanca pour le Maroc. Quelques interventions méritent l'attention, car elles se rapportent directement au monde musulman contemporain, notamment dans ses aspects sociopolitiques. C'est le cas des «Demandes d'autorité sans autoritarisme» de Jérôme Heurtaux, chercheur à l'IRMC, qui est intervenu lundi après-midi pour traiter des élections présidentielles tunisiennes de 2014, de Assia Boutaleb (voir entretien) sur le régime d'Al Sissi (Egypte), de l'Algérien Mansour Kedidir (voir entretien) sur les crises et l'autorité de l'Etat en Algérie, mais surtout de la réflexion du Marocain Mohamed Sghir Janjar de la fondation Al Saoud qui a proposé une analyse en profondeur du contexte marocain contemporain. Sa conférence inaugurale résume bien la problématique de cette manifestation qui mêle les préoccupations politiques, sociologiques, historiques, mais aussi culturelles, religieuses ou même psychologiques. En tout, 6 axes de réflexion sont proposés au débat. Le penseur marocain part d'un antagonisme qui fait qu'au nord de la Méditerranée, on souhaite la restauration de l'autorité, alors qu'au Sud on constate sa trop grande présence de la base au sommet de l'échelle sociale. Il va, à la lumière des théoriciens occidentaux — Anna Arendt, Max Weber, Tocqueville — proposer un axe d'analyse basé sur le culturalisme et soutenu par des anthropologues marocains dont Abdallah Hamoudi. Celui-ci a étudié la relation maître-disciple (le statut de cheikh dans le soufisme), mais d'autres sont allés plus loin en s'intéressant aux rapports maître-esclave qui existaient dans la société musulmane. «On va dénicher l'autoritarisme dans la culture religieuse qui a façonné les rapports sociaux, politiques ou même de genre pour, explique-t-il, imposer la servitude comme mode d'expression dans les rapports de pouvoir.» L'approche culturaliste lui permet de constater que certaines pratiques sociales sont révolues dans la forme mais pas dans la culture. Pour lui, quelqu'un qui cite Tabari prend son récit comme étant un fait historique et cette tendance à prendre ce qu'on dit comme étant de l'histoire crée une confusion faisant que la norme est prise pour la réalité elle-même. «L'histoire n'est pas encore écrite, ce n'est qu'un récit parmi d'autres.» Le problème de «déhistorisation» du discours aboutit à des amalgames dont le célèbre vocable «l'islam est religion et Etat» (dine wa daoula) qui était en réalité (dine wa dounia) qui veut dire «religion et choses de la vie». Pour lui, cette référence à l'Etat est en réalité une création du XXe siècle qu'on doit à Hassan El Bana (Frères musulmans). Cependant, Mohamed Janjar croit malgré tout que les sociétés musulmanes, la marocaine en particulier, ne sont pas figées. Les mutations sociales du Maroc depuis 2011 sont étudiées à la lumière d'un processus entamé depuis des années pour aboutir aux réformes arrachées suite aux mouvements de contestation. «Les réformes sont le reflet des rapports de force entre la monarchie et la société civile et le monde politique», explique-t-il citant l'exemple de l'article doctrinaire de la Constitution marocaine qui consacre la commanderie des croyants. Un article, dit-il, qui a fini par non pas disparaître, mais par s'accommoder aux nouvelles réalités. «La qualité de chef d'Etat apparaît séparément de la qualité de Commandeur des croyants à travers deux articles distincts et c'est comme si on consacre la séparation entre ce qui relève du sacré et du politique.» Pas de rupture radicale mais un système duel et une société composite qui en même temps se soucie des normes internationales à mettre en œuvre et reste attachée à la religion dans ses formes les plus archaïques, comme légitimer l'assassinat des apostats. Pour lui, «le fil de la tradition est rompu et le système traditionnel s'est brisé, même s'il semble subsister en morceaux.» Cet optimisme n'est pas fortuit, car il renvoie à une série d'indicateurs relatifs à la réussite de la transition démographique (2,3 en moyenne), l'évolution de la condition féminine, la baisse de l'influence du patriarcat avec l'augmentation substantielle des familles nucléaires et de la mobilité des femmes, mais surtout une urbanisation accrue depuis 1960 avec une jeunesse scolarisée et connectée au reste du monde grâce aux nouvelles technologies. Djamel Benachour