Las d'attendre un hypothétique projet public, ils ont fini par recourir à la force de leurs bras pour construire un pont sur l'oued maudit qui a été à l'origine de tant de malheurs. Coupée du monde, la lointaine localité de Beni F'rah, à une dizaine de kilomètres du chef-lieu de la commune de Beni Yadjis, au sud de la wilaya de Jijel, va enfin voir le vieux rêve de ses habitants se réaliser. A son tour, l'oued Djen Djen séparant cette localité de l'autre monde va cesser d'emporter des vies humaines. Des volontaires, parmi les natifs de cette bourgade, ont décidé que soit mis un terme à ce drame et à leur isolement. Las d'attendre un hypothétique projet public, ils ont fini par recourir à la force de leurs bras pour construire un pont sur l'oued maudit qui a été à l'origine de tant de malheurs pour eux. Il ne s'agit à vrai dire que de la réalisation d'une passerelle. «Nous avons cotisé pour poser les fondations au niveau des deux rives de l'oued. On vient tout juste de terminer les travaux», nous déclare, tout auréolé de cet exploit, un natif de cette localité. Notre interlocuteur y va de son explication et précise que des maçons et des ferrailleurs, qui ont travaillé en France, ont mis au point le plan de réalisation de cet ouvrage, un vieux rêve qui tient à cœur toute une population. Les fondations réalisées ont coûté un peu plus d'une trentaine de millions de centimes. Il reste l'acquisition de câbles galvanisés à El Eulma pour terminer ce pont, selon le même interlocuteur. Le génie des concepteurs de ce projet, inédit dans la wilaya de Jijel, prendra fin par le lancement des câbles, qui seront suspendus sur une longueur de 35 mètres pour tenir cette passerelle. En octobre dernier, lors de la visite du wali à Beni Yadjis, des natifs de la localité de Beni F'rah ont rappelé, à qui voulait les entendre, les misères qu'ils endurent à cause de leur isolement. «Nous traversons l'oued presque nus», nous avaient-ils dit. Pour rejoindre ce territoire à mille lieues de la vie, ces habitants ont toujours été contraints de traverser, à leurs risques et périls, ce cours d'eau où des villageois ont laissé leur vie par le passé. Abandonnés à ce terrible isolement, ils ont fini par agir à leur propre compte. Le pont de leurs rêves est en route pour être construit. L'Etat a de son côté fait preuve d'une terrible démission pour venir en aide à la population de cette localité, restée coincée dans son isolement depuis l'indépendance. Interrogé s'il est au courant de cette initiative, le président de l'APC a répondu par l'affirmative. Il a précisé que, faute d'une inscription pour débloquer un budget, il n'est pas possible de contribuer à son financement. Beni F'rah va devoir se montrer fière de ses volontaires. Sans inscription du projet, sans étude, sans avis d'appel d'offres ni enveloppe financière, ils ont réussi là où l'Etat a échoué : doter cette localité d'un pont !