Le procès des mis en cause dans l'affaire Sonatrach 1 s'est poursuivi hier avec les questions des avocats et du procureur général. Benamar Zenasni, ancien vice-président du transport par canalisation, affirme que la négociation avec Saipem a été décidée sur ordre de Chakib Khelil et que Sonatrach n'a jamais pu évaluer le préjudice, alors que Réda Meziane, fils de l'ex-PDG, révèle avoir connu Tullio Orsi dans le bureau de la défunte Amel Zerhouni, amie de l'épouse de l'ex-ministre de l'Energie. D'abord, Benamar Zenasni est sommé par Me Zouaki, l'agent judiciaire du Trésor, d'expliquer l'urgence qui a motivé le gré à gré avec Saipem. «Il y a eu une réunion avec le ministre où ce dernier s'est plaint des retards dans la réalisation des projets, qui étaient très importants et complexes.» Le président lui fait savoir que le montant de ce marché, 43 milliards de dinars, est important aussi. L'accusé répond : «Cela ne m'étonne pas parce qu'il s'agit de 650 km de pipes qui traversent le Sud, les Hauts-Plateaux et le Nord.» Il révèle que le 23 mars 2006, Yahia Messaoud, qui était le maître de l'ouvrage, lui a fait un écrit dans lequel il lui fait part de trois propositions, à savoir la négociation des prix, l'annulation du projet ou son octroi à un groupement national. «L'annuler risque de nous mener vers un tribunal d'arbitrage. Les sociétés nationales n'étaient pas habilitées. Il nous restait que la négociation. Ce que nous avons fait», affirme l'accusé, qui précise ne pas avoir été mis au courant des pénalités de retard de 2 millions d'euros qu'avait Saipem. L'accusé ne cesse d'insister sur l'importance et la complexité du projet : «Il alimente en gaz la centrale électrique construite par Sonelgaz, mais aussi toute la région. Les trois lots devaient être réalisés en même temps.» Il écarte toute relation entre le marché et le fait que le fils du PDG travaillait à Saipem avant de revenir sur les prix de Saipem. «En fait, l'erreur qui a été commise c'est qu'il n'ont pas fait d'étude relative au coût du kilomètre linéaire…», dit-il au procureur général, précisant : «Lorsque le ministre a donné l'ordre de poursuivre le projet, j'ai dit à Yahia Messaoud de continuer. Mais j'ai dit aussi que je n'accepterais pas les prix présentés.» Le magistrat : «Pourquoi n'avoir pas annulé ?» L'accusé : «C'est moi-même qui ais dit à Yahia Messaoud que le ministre refusait l'annulation du projet. Comment voulez-vous que je revienne sur la décision de mon ministre ?» L'avocat de Saipem interroge l'accusé sur les compétences de la société italienne. «C'est une société de renommé mondiale, la seule qui a placé des pipes en mer», répond Benamar Zenasni. D'après lui, «Sonatrach était dans une situation exceptionnelle où les soumissionnaires étaient deux. Saipem savait que nous étions devant un gré à gré». Me Ladoun, avocate de Saipem : «Lorsque la commission a dit que les prix étaient plus élevés de 118% par rapport au budget prévu et de plus de 60% par rapport au marché, ne vous êtes-vous pas trompé sur les prévisions budgétaires ?» L'accusé confirme. Me Attef : «Est-ce le ministre en personne qui a donné l'ordre de poursuivre ?» L'accusé acquiesce. Me Hocine Chiat, avocat de Mohamed Meziane, lui demande quel seuil le ministre a-t-il fixé pour les négociations. L'accusé : «Il nous a dit d'obtenir 12,5% de réduction au maximum. Nous avions arraché 15%, ce qui représente plus de 100 millions de dollars de gain pour Sonatrach.» Me Chenaif, avocate de Benamar Zenasni, insiste sur le projet, son importance et sa complexité. Interrogé sur le préjudice que Sonatrach n'a pu évaluer, l'accusé déclare : «Il n'a pas été évalué parce qu'il n'y a pas eu d'expertise. Il ne s'agit pas de juxtaposer des pipes. C'est beaucoup plus complexe. Rares sont les sociétés qui ont les capacités et la technologie pour réaliser ce type de projet.» Selon l'accusé, c'est son prédécesseur, Hocine Chekired, qui avait saisi le PDG, lui demandant de maintenir le projet avec les deux offres seulement. «J'ai pris le train en marche», ne cesse-t-il de dire. Benamar Zenasni cède sa place à Mohamed Réda Meziane, fils de l'ex-PDG de Sonatrach. L'avocat de la partie civile lui demande d'expliquer ce qu'est le contrat d'exclusivité qu'il avait avec Saipem. «Je n'avais pas le droit de travailler avec des sociétés concurrentes», répond-il. Le procureur général s'intéresse à la fête de mariage de l'accusé, le 31 août 2006, dans un hôtel en Tunisie. «Qui a payé les prestations», lui demande t-il. L'accusé : «Moi-même et un ami, qui est absent.» Le procureur général : «N'est-ce pas Tullio Orsi qui a pris en charge la fête ?» L'accusé conteste mais le magistrat revient à la charge. «C'est un ancien financier de Saipem qui a dit cela. Nous avons été confrontés lors de l'instruction. Il a dit avoir entendu, par la bouche de la secrétaire de Tullio, que c'est Saipem qui a tout payé. Ce n'est pas vrai. C'est moi qui ai payé.» Le président : «Avez-vous des preuves ?» L'accusé : «Je ne les ai pas, mais je peux les ramener.» Le procureur général demande le montant de la facture et Réda Meziane dit ne pas s'en rappeler. Sur le choix d'un hôtel en Tunisie, il explique qu'il est lié au fait qu'une grande partie de ses invités étaient dans ce pays. Le procureur général insiste pour connaître le montant de la facture et l'accusé lance : «Je ne me rappelle que des 800 euros payés pour les chambres de ma famille. Le reste, ce n'est pas moi qui l'ai payé.» Le juge : «Est-ce que Tullio était présent à la fête ?» L'accusé : «Il avait été invité par la défunte Amel Zerhouni. Il y avait aussi Al Smaïl et Yazid Meghaoui.» Le président lui demande si son père, le PDG, était aussi dans la fête, et Réda confirme. Ce qui fait dire au juge : «Ne vous a-t-il pas fait la remarque à propos de la présence de Tullio Orsi, en tant qu'invité ?» Réda Meziane : «Il n'a rien dit.»