La plupart de la trentaine de forts d'Oran, édifices témoignant de la riche histoire de la ville, construits à travers plusieurs époques historiques, se trouvent à l'abandon. Souvent, si ce n'est sûrement, ces chefs-d'œuvre architecturaux, qui ont constitué la clé de voûte du système défensif de la ville, se trouvent dans un état de délabrement avancé. Ailleurs, ces édifices construits pour la majorité durant la période de l'occupation espagnole de la ville (1550-1780) auraient été inscrits au patrimoine mondial de l'humanité. Chez nous, ils sont livrés au squat des sans -abri pour les uns et aux prédations les plus insatiables pour les autres. Le fort de Santa Cruz en est la parfaite illustration. En effet, construit sur les hauteurs du mont du Murdjadjo, sur le pic du Haïdour à 386,9 m d'altitude, en 1563 par `les Espagnols, il fait l'objet de toutes sortes de saccages depuis qu'il a été abandonné par l'ANP en 1993. La pierre taillée, laisse-t-on entendre, est très prisée par les nouveaux riches qui bâtissent leurs villas dans les quartiers chics d'Oran. A noter que cet édifice est classé depuis 1954. Depuis quelque temps cependant, une association semble décidée non seulement à sauver le site mais à le réhabiliter en faisant de lui un musée du « vieil Oran ». Le bénévolat contre l'oubli En effet, l'association Bel Horizon de Santa Cruz active sans relâche pour faire du fort de Santa Cruz le site le plus visité du pays. Selon son président, Kouïder Metair, l'association a déjà formé plus d'une vingtaine de jeunes guides des monuments historiques. Actuellement, elle s'attelle à constituer un fonds documentaire du musée du vieil Oran, notamment en présentant aux visiteurs et touristes des cartes postales des sites historiques, des prospectus, des livres, des CD rom, relatant ou retraçant l'histoire de la ville d'Oran. Cette activité entre dans le cadre du programme MEDA de l'Union européenne, un programme d'appui aux associations algériennes de développement, d'un montant de 5 millions d'euros (environ 350 millions de dinars). Selon le directeur de l'UGP, Md Arab Izarouken, « le projet s'articule autour des axes suivants : l'engagement des travaux pour arrêter la dégradation du fort et entamer sa restauration et sa réhabilitation ; l'occupation du site par l'organisation de sorties et de visites afin de sécuriser l'espace ; la formation des guides de monuments ; la production d'un fonds documentaire destiné au musée du vieil Oran qui sera domicilié au niveau du fort ». Une histoire tumultueuse On apprendra par ailleurs que la chute du royaume musulman d'Espagne en 1492 donna naissance à une Espagne conquérante. En 1504, à sa mort, la reine d'Espagne, Isabelle Ire la Catholique, laisse un testament dans lequel elle recommande la conquête de l'Afrique. L'année suivante voit Mers El Kébir tomber entre les mains des Espagnols. Quatre ans plus tard, soit en 1509, le cardinal Ximenès de Cisneros s'empare d'Oran. Diego Fernandès de Cordova, marquis de Comarès, est gouverneur de la ville. Devant les difficultés de conquérir l'intérieur du pays et l'apparition des troupes ottomanes, les Espagnols décidèrent de faire d'Oran une place forte, un présidio majeur. Ils édifièrent un système de fortifications complexe, formé de châteaux forts, de fortins, de tours, de bastions et autres murailles reliés entre eux par un système ingénieux de galeries souterraines et autres portes de vigie. La ville résista à une dizaine de sièges. En 1708, soit deux siècles après, la ville a été libérée par les troupes algéro-ottomanes du bey Bouchlagham. Mais ce ne fut qu'un intermède de courte durée, soit 24 ans, les Espagnols reprirent la ville en 1732, après le débarquement de l'armada du duc de Monté Mar sur les rivages de l'actuel Aïn Turk. Les Espagnols firent alors d'Oran l'une des villes de la Méditerranée les plus fortifiées avec les ouvrages de Santa Cruz, le Rozalcazar, San Felipe, San Andre, Santa Barbara, San Fernando, Naciemento, Santa Thereza, San Gregorio, Santiago, Torrée Gorda, San José, etc. dont les vestiges, malgré l'usure du temps et des prédateurs, témoignent encore de la mémoire meurtrie de la ville. D'une manière globale, ces monuments historiques n'ont jamais été classés. En 1790, Oran fut frappé par un terrible tremblement de terre qui a détruit une bonne partie de la ville et divers monuments. Le Bey Mohamed El Kébir entreprit de libérer définitivement la ville et entre dans Oran en février 1792, mettant ainsi fin à près de trois siècles de domination espagnole. La mémoire saccagée A Bab El Hamra, quartier situé entre le quartier de Sid El Houari et celui des Planteurs, subsistent encore quelques édifices squattés par des indus occupants. Les forts de Santa Barbara, datant de l'époque espagnole, et celui de Santiago connaissent le même sort. Des indus occupants non seulement s'y sont réfugiés, mais ils ont fini par dénaturer son aspect par des modifications grotesques. Quant à celui de San Gregorio, se trouvant lui aussi à Bab El Hamra, il se trouve dans un état de dégradation avancé. Pas loin de là, le fort San Pedro, sur les hauteurs de la vieille Casbah, dont on doit la construction en 1737 à Valiego, gouverneur espagnol de la place d'Oran, ne fait pas exception. Derrière la forteresse Saint-Pierre, une muraille défensive du côté sud de La Casbah, s'abritent des familles sans logement. Plus bas, le Donjon rouge élevé en 1439, à l'époque mérinide, subit lui aussi toutes sortes de détériorations. Dans ce même endroit, plus exactement dans l'enceinte du Châteauneuf, le fort Saint-Louis est devenu méconnaissable car il tombe en ruine. A l'extrémité du quartier Derb, ancien quartier juif, le fort San Andre datant lui aussi de l'époque espagnole se trouve également dans un état de dégradation avancé. La liste est longue En somme, c'est toute la mémoire collective d'une ville qui se trouve saccagée. Un lieu hautement mystique Si les Lyonnais prient à Fourvière et les Marseillais évoquent la Bonne Mère, Notre-Dame de la Garde, on ne peut parler d'Oran sans avoir aussitôt sous les yeux la montagne de Santa Cruz et la basilique du sommet de laquelle la Vierge veille sur sa ville. Nul n'ignore l'importance de Notre-Dame de Santa Cruz dans la vie des Oranais. Elle les avait sauvés d'une épidémie de choléra en 1849, en répondant à leurs prières et en leur envoyant la pluie. En effet, l'histoire raconte que le fléau, qui sévissait déjà dans certaines régions d'Europe, comme l'Italie du Sud, a subitement fait son apparition le 21 septembre à Oran. La propagation de l'épidémie a été tellement rapide que le 25 septembre, les hôpitaux civils et militaires ne suffisaient plus pour recevoir les malades. Le 14 octobre, Oran se réveille dans la torpeur : l'épidémie, aidée, il faut le souligner, par une chaleur caniculaire, a éclaté d'une façon foudroyante dans tous les coins de la ville au point où le 31 octobre, il a été fait état de 1172 victimes. Impuissants devant la fulgurance de l'épidémie, les habitants, en désespoir de cause et impuissants, se tournent alors vers le Ciel. A ce propos d'ailleurs, certaines archives relatent que le général Pélissier, commandant en chef des forces d'occupation de l'époque, malgré les moyens mis en œuvre, avoue à l'abbé Suchet, vicaire général d'Alger, son impuissance à éradiquer l'épidémie. Puis se tournant vers le sommet de la montagne du Murdjadjo et dit à l'abbé Suchet : « Foutez donc une vierge là-haut, elle se chargera de jeter le choléra à la mer. » C'est ainsi que l'on saura que le dimanche 4 novembre, partant de l'église Saint-Louis (partiellement détruite par le tremblement de terre de 1790, elle fut réédifiée en 1838 par les Français et élevée au rang de cathédrale en 1866), une procession solennelle, à laquelle assistaient toutes les autorités civiles et militaires, se déroulait lentement à travers les rues d'Oran, escortant la statue de Marie, la consolatrice des affligés, scandant inlassablement : « Parce, Domine, parce populo tuo. » Après avoir parcouru les quartiers de la Marine et ceux de la haute ville, elle franchit le ravin de Raz El Aïn, sortit des remparts par la porte du Santon et monta jusqu'au plateau qui s'étend presque à mi-hauteur de la montagne du Murdjadjo. Les milliers de fidèles qui lui ont fait cortège se jettent à ses pieds, et de toutes parts, on entend les gémissements et les supplications monter vers le ciel : « Notre-Dame de Santa Cruz, ayez pitié de nous, sauvez-nous ! » A peine la procession s'est-elle remise en marche que la pluie, cette pluie si impatiemment attendue, tombe bientôt en abondance. Le fléau cesse dès lors ses attaques et, quelques jours après, la ville est complètement délivrée. En 1872, la promesse qu'ils lui avaient faite s'est concrétisée par l'édification de la basilique que l'on connaît juste en contrebas du fort de Santa Cruz. Elle était l'objet, à chaque fête de l'Ascension, d'une longue procession qui démarrait des bas quartiers pour s'attaquer aux pentes sinueuses du Murdjadjo. La vierge s'expatrie En 1965, la vierge d'Oran a été rapatriée à Nîmes à bord d'un bâtiment de la marine. Depuis, une autre association, Les Amis de Notre-Dame de Santa Cruz, a construit un sanctuaire, une pâle relique il faut le reconnaître, sur les hauteurs du mas de Mingue à Nîmes. Les Oranais, les déracinés obligés de quitter le pays, trouvent dans ce rassemblement une occasion d'exorciser le passé. Au fil des ans, ce pèlerinage est devenu l'un des plus importants en France après celui de Lourdes. Cela dit, depuis deux années, de plus en plus de pieds-noirs font le voyage sur les lieux de leur enfance et effectuent l'incontournable pèlerinage à la chapelle de la Vierge de Santa Cruz sur le mont Murdjadjo.