La lune de miel entre le Président, fondateur de Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi, et le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, se poursuit dans le remaniement ministériel, politique par excellence, qui vient de s'opérer au sein du gouvernement de Habib Essid. Nidaa Tounes garde certes la part du lion avec neuf portefeuilles dans la nouvelle équipe, mais perd le département des Affaires étrangères, initialement occupé par Taïeb Baccouche, l'un des membres fondateurs de Nidaa Tounes. Il aurait également perdu le ministère de l'Intérieur, si l'on juge par les réactions des députés nidaaistes, dont 43 ont signé une pétition réclamant le maintien de Nejem Gharsalli, classé toutefois comme indépendant lors de la formation de ce gouvernement en février dernier. Cette absence de «leaders» nidaaistes dans l'actuelle équipe gouvernementale s'explique, selon le politologue Samir Taïeb, par le fait qu'à la différence de janvier 2015, l'alliance de Nidaa Tounes avec Ennahdha est aujourd'hui publique. Une année plus tôt, ce rapprochement n'était pas encore digérable, notamment dans l'entourage de Béji Caïd Essebsi, dont la campagne électorale était axée sur l'idée que Nidaa Tounes présentait un modèle de société différent de celui d'Ennahdha. Et puis, Taïeb Baccouche, secrétaire général de Nidaa Tounes à l'époque, aspirait au poste de chef de gouvernement en tant que leader du parti ayant gagné les élections. «Béji Caïd Essebsi devait accorder à Baccouche un poste de choix, faute de la présidence du gouvernement, et c'était le ministère des Affaires étrangères. Maintenant, les choses ont changé», ajoute l'universitaire, pour qui il est clair que Nidaa Tounes et Ennahdha ont convenu de «neutraliser» les ministères de souveraineté, comme du temps de Mehdi Jomaâ. Remaniement politique Ce changement de background politique explique le remaniement ministériel, annoncé par Habib Essid le 27 novembre dernier devant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) et devant installer un gouvernement restreint, axé autour de pôles ministériels : sécuritaire, économique, social et éducationnel. Toutefois, cette idée serait tombée par KO face à l'appétit dévorant des partis politiques de la coalition gouvernementale, qui ne veulent pas sacrifier des portefeuilles au profit de cette idée de pôles ministériels. Ennahdha ne voulait pas abandonner son ministre de l'Emploi, Zied Ladhari, dont les résultats sont loin d'être satisfaisants. Afek Tounes a gardé ses ministres, malgré les performances mitigées de son secrétaire général, Yassine Brahim, et de la ministre de la Femme, Samira Meraï. Le nom de Yassine Brahim était même associé à un contrat d'expertise accordé de gré à gré avec la banque Lazard de Paris. Lequel contrat a suscité une forte polémique et vient d'être annulé par la présidence du gouvernement, qui a annoncé une consultation autour du sujet. L'UPL a obtenu un quatrième portefeuille pour son secrétaire général, Mohsen Hassen. La réputation de ce dernier est pourtant loin d'être irréprochable, ce qui lui avait valu d'être évincé du premier gouvernement de Habib Essid. Mais les temps ont changé. Habib Essid regarderait plus à l'équilibre politique qu'à ce que diraient les commentaires, comme ce fut le cas en février dernier, toujours selon Samir Taïeb. Ennahdha et le droit de véto Comme cela a été régulièrement révélé dans ces mêmes colonnes, Ennahdha ne cherche pas à être fortement représenté au gouvernement. «L'idée, c'est de les associer aux grandes décisions pour éviter un blocage au niveau de l'ARP», explique le politologue Slaheddine Jourchi. Cette approche a été confirmée par le retour de Najmeddine Hamrouni au poste de conseiller auprès du chef du gouvernement chargé de la Veille et de la Prospective, un poste qu'il avait occupé sous Ali Laâreyedh et Mehdi Jomaâ. Les islamistes d'Ennahdha avaient un ministre et trois secrétaires d'Etat dans l'équipe sortante ; ils ont deux ministres (Emploi et Mines), en plus de ce conseiller ; «c'est juste une présence pour contrôler l'action gouvernementale», pense Jourchi. Par contre, Nidaa Tounes a gardé le gros de l'armada de ministres qu'il avait dans l'ancien gouvernement, à l'exception de Taïeb Baccouche. En plus, le poste vacant suite à la démission de Lazhar Akremi, ministre chargé des Relations avec l'ARP, a été attribué à Khaled Chouket, doublé de la fonction de porte-parole du gouvernement. Youssef Chahed et Anis Ghedira sont également passés au rang de ministres : le premier aux Collectivités locales et le second aux Transports. «Nidaa Tounes n'a pas perdu de son envergure au sein de la nouvelle équipe de Habib Essid mais plutôt dans des ministères techniques», explique le politologue. Selon lui, Ennahdha a renforcé son rôle de contrôle au sein du gouvernement par une «taupe» officielle à la présidence du gouvernement alors que Afek Tounes et l'UPL ont exercé les caprices que leur doivent leur statut de comparses pour obtenir respectivement trois et quatre portefeuilles ministériels.