Le tribunal criminel d'Alger a fait tomber l'accusation d'«association de malfaiteurs» et prononcé sept acquittements et des peines allant de 18 mois avec sursis à 6 ans de prison ferme. Les sociétés Saipem, Funkwerk, Contel-Funkwerk et Contel Algérie ont été condamnées à des amendes de 3 à 5 millions de dinars et à une exclusion des marchés publics pour une durée de 5 ans, y compris le bureau d'études CAD. Grande surprise hier au tribunal criminel d'Alger, lors du prononcé du verdict lié à l'affaire Sonatrach après un délibéré d'une semaine. Ainsi, le tribunal a fait tomber plusieurs chefs d'accusation, dont le plus important, l'«association de malfaiteurs», laissant augurer dès le départ des peines de loin moins lourdes que celles requises par le parquet général. Cette orientation se confirme à la lecture par le président du tribunal de la centaine de questions relatives à la culpabilité (ou non) des mis en cause dont les réponses sont majoritairement négatives. Ainsi, Mohamed Djaafer Al Smaïl bénéficie d'un non-lieu pour cinq chefs d'accusation, mais il est reconnu coupable de «blanchiment d'argent» et condamné à une peine de 6 ans de prison ferme assortie d'une amende de 2 millions de dinars. La décision suscite des applaudissements dans la salle. La même peine est retenue contre Mohamed Réda Meziane, pour «passation de marché en violation avec la réglementation», «surfacturation», «complicité de dilapidation» et «blanchiment d'argent». El Hachemi Meghaoui et son fils Yazid bénéficient d'un non-lieu pour l'ensemble des faits qui leur sont reprochés à l'exception du délit de «blanchiment» pour lequel le père est condamné à une peine de 5 ans assortie d'une amende d'un million de dinars et le fils à 6 ans de prison et une amende de 2 millions de dinars. Pour ce qui est de Belkacem Boumedienne, vice-président de l'activité Amont, le tribunal l'a reconnu coupable des délits de «dilapidation» et de «tentative de dilapidation de deniers publics» et «abus de fonction» pour lesquels il est condamné à 5 ans de prison ferme et à une amende de 500 000 DA. Fawzi Meziane est condamné à 5 ans de prison ferme assortie d'une amende d'un million de dinars pour avoir commis les délits de «complicité dans passation de marché en violation de la réglementation», «complicité dans dilapidation de deniers publics» et blanchiment d'argent». Pour ce qui est de l'ancien PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, le tribunal a décidé du non-lieu pour quatre accusations et en a retenu quatre autres : «corruption», «dilapidation de deniers publics», «trafic d'influence » et «blanchiment d'argent» pour lesquels il est condamné à une peine de 5 ans de prison avec sursis et une amende de 2 millions de dinars. Sept acquittements sous les applaudissements de la salle La salle explose. Des applaudissements et des cris de joie. Le juge poursuit la lecture du verdict. Nouria Meliani, directrice du bureau d'étude CAD, n'est reconnue coupable que d'un seul délit sur les quatre qui pesaient sur elle ; il s'agit du «trafic d'influence» lié à la Mercedes achetée à Réda Hemch (ex-chef de cabinet du PDG de Sonatrach et homme de confiance de Chakib Khelil) ainsi que les montants qu'elle lui aurait viré sur son compte à l'étranger, pour lequel elle est condamnée à une peine de 18 mois de prison avec sursis assortie d'une amende de 100 000 DA. Le tribunal a par ailleurs reconnu les quatre sociétés coupables de «surfacturation», délit pour lequel Saipem et le groupement Contel-Funkwerk sont condamnées à une amende de 4 millions de dinars, et la levée du gel sur tous leurs comptes. Pour ce qui est de Contel Algérie, le tribunal a décidé de la même amende, alors que Funkwerk Plettac, reconnue coupable de «surfacturation» et de «corruption», est condamnée au paiement d'une amende de 5 millions de dinars. Le tribunal a prononcé l'acquittement au profit de Mustapha Hassani, Mutapha Cheikh, Mohamed Senhadji, vice-président des activités centrales, Chawki Rahal, vice-président des activités commerciales, Abdelaziz Abdelwahab, Mouloud Aït Al Hocine et Benamar Zenasni, vice-président des activités transport par canalisation. L'assistance ne comprend cependant pas pourquoi Belkacem Boumedienne est le seul accusé à ne pas bénéficier de circonstances atténuantes. Par ailleurs, des peines complémentaires ont été décidées par le tribunal criminel. En ce qui concerne Mohamed Réda Djaafer Al Smaïl, il est exclu des marchés publics durant une période de 5 ans. Tous ses biens, deux appartements à Neuilly-sur-Seine et rue La Fayette à Paris (France) et une villa à Birkhadem sont saisis, ainsi que les montants contenus dans des comptes domiciliés en Algérie à la Société Générale et BNP Paribas. Le tribunal a également décidé de la saisie de la villa de Réda Meziane, située à Birkhadem, d'un duplex avec parking à Dély Ibrahim et d'un véhicule de type Audi. Il en est de même pour son frère Fawzi Meziane, sa villa située au Parc Miremont, à Bouzaréah et sa BMW X5 ont été saisies. En ce qui concerne Mohamed Meziane (ex-PDG de Sonatrach) le tribunal a prononcé la saisie de l'appartement acheté par Al Smaïl à Paris au nom de la défunte Mme Meziane et d'une villa sise à Birkhadem. Pour ce qui est des Meghaoui père et fils, tous les fonds contenus dans leurs comptes ayant servi pour les virements de Contel-Funkwerk, domiciliés à BNP et Natixis sont saisis, alors que pour les autres comptes gelés, le tribunal a prononcé la levée du gel. Interdiction de marchés publics d'une durée de 5 ans Outre cette décision, le tribunal a exclu le bureau d'études CAD et la société allemande Funkwerk Plettac des marchés publics pour une période de 5 ans, prononcé la dissolution de la société Contel Algérie et la saisie de tous ses biens, notamment ses deux villas situées à Ben Aknoun et à Bouzaréah qui lui servaient de bureaux, ainsi qu'un véhicule Peugot 407. Pour ce qui est de la demande de restitution des passeports formulée par les accusés, le tribunal y a répondu favorablement, à l'exception du passeport diplomatique de Mohamed Meziane qui reste confisqué. Après ces décisions, le tribunal — sans les membres du jury — a commencé à entendre les parties sur l'action civile. Maître Mohamed Zouakou, agent judiciaire du Trésor, exprime son étonnement quand à certaines zones d'ombre laissées par ce procès : «Nous nous attendions à ce que certaines choses soient expliquées. Nous ne sommes pas là au nom du Trésor public, mais en tant que représentant de l'Etat, principal actionnaire de Sonatrach.» Me Miloud Brahimi l'interrompt : «Il est hors sujet. C'est une honte…» Me Sellini, avocat de Sonatrach, réagit : «Ce n'est pas à vous de faire la police de l'audience. Il parlera le temps qu'il voudra et personne n'a le droit de l'arrêter.» Me Brahimi : «J'ai honte pour la justice de mon pays lorsque j'entends de telles aberrations.» La salle s'enflamme. Le juge tente de ramener le calme, en vain. Il lève l'audience dans une anarchie indescriptible marquée par des échanges de propos acerbes entre les deux avocats. Quelques minutes plus tard, le président revient. «J'ai appris le débat démocratique à l'audience avec la thèse l'antithèse et la synthèse…», dit-il aux avocats. L'ordre est rétabli et Me Zouaki reprend la parole pour défendre sa constitution en tant que partie civile. Me Oularbi, également représentant de l'agent judiciaire du Trésor, décortique les faits pour lesquels les accusés sont reconnus coupables. «La nature de ces faits, corruption et blanchiment d'argent, oblige l'Etat à récupérer son dû. Jusqu'à preuve du contraire, ce sont les dirigeants de Sonatrach qui sont poursuivis. Sonatrach ne peut être juge et partie», explique-t-il avant de résumer ses demandes à des sommes de 263,25 millions de dollars, réclamés à l'ex- PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane, son fils Réda et Saipem, dans le cadre des marchés du GK3, et 621 millions de dollars, demandés aux Meghaoui, Contel-Funkwerrk, Contel Algérie et Funkwerk Plettac. Me Sellini, avocat de Sonatrach, tente d'expliquer au tribunal la difficulté à faire exécuter les décisions à l'étranger dans le cadre de l'exequature faute d'expertise d'évaluation du préjudice, sur laquelle repose toute demande de réparation. Il demande au tribunal de réserver les droits de Sonatrach, et Me Brahimi s'offusque encore une fois contre les déclarations de l'agent judiciaire du Trésor (AJT). «C'est inacceptable. Avez-vous une seule fois déclaré que les coupables ont fait subir un préjudice au Trésor public ? Non. A chaque fois c'est envers Sonatrach que vous l'avez signalé. Nous attendons de vous une décision à la hauteur du niveau du verdict», lance Me Brahimi. Me Chaib, avocat de Nouria Meliani, a lui aussi contesté la constitution de l'AJT. Pour Me Sellini, avocat de Sonatrach : «Nous avons demandé une expertise au juge d'instruction. Mais, s'il l'avait décidée, elle aurait pris trop de temps, alors que des accusés étaient en détention. Nous vous demandons aujourd'hui, d'ordonner cette expertise afin d'évaluer les préjudices causés par les contrats conclus avec Contel-Funkwerk, Saipem et CAD.» Son confrère, Me Benrabah, également avocat de Sonatrach, apporte des précisons : «La préservation des droits de Sonatrach ne veut nullement dire le désistement de ses droits.» Le tribunal se retire et quelques minutes plus tard, il décide l'acceptation de l'AJT comme partie civile, en rejetant ses demandes et la préservation des droits de Sonatrach.