Une nouvelle guerre des prix risque de miner le marché, non pas du pétrole, mais celui du gaz. Aux mêmes causes, les mêmes effets. Demande atone et suroffre conduisent à une baisse des prix du gaz sur le marché européen. C'est dans ce contexte que l'ex-ministre algérien de l'Energie et chercheur à l'université de Grenoble (France), Sadek Boussena, appelle à anticiper sur les tensions qui vont marquer le marché européen du gaz. Il s'agit en pratique d'agir exactement comme l'Arabie Saoudite et l'OPEP qui entretiennent les incertitudes sur les prix à venir du pétrole pour barrer la route aux projets de développement des pétroles de schiste. Pour le gaz, il s'agira de barrer la route aux projets de développement du GNL australien et américain. Dans une analyse publiée par la revue Pétrostratégies, Sadek Boussena et Catherine Locatelli, chargée de recherche au CNRS (France), appellent les fournisseurs traditionnels de gaz à l'Union européenne de ne plus adopter de posture passive à la chute des prix du gaz. Ils rappellent, dans ce sens, le bouleversement du contexte gazier sur le marché européen en raison de divers facteurs. «La baisse de la demande en Europe, l'existence de surcapacités de réception, la concurrence d'autres énergies et la chute des cours du pétrole ont bouleversé le contexte gazier avec une baisse substantielle des prix», expliquent-ils. Les fournisseurs traditionnels de gaz devraient-ils pour autant subir cette baisse et adopter une posture pour défendre des prix élevés du gaz. Selon les deux chercheurs, une telle position serait contreproductive. Ils expliquent aussi qu'une «simple guerre des prix» serait «nuisible pour tous» et proposent une alternative aux fournisseurs traditionnels, tels que Gazprom, Sonatrach et Statoil, «initier une stratégie en instrumentalisant, en leur faveur, l'incertitude qui pèse sur les prix futurs du gaz». Et d'expliquer qu'avec «plus de 30% des livraisons de l'UE, Gazprom peut avoir un rôle prédominant». M. Boussena et Mme Locatelli partent du principe que dans la situation actuelle du marché européen et «après bien des réticences, les fournisseurs de l'UE se sont adaptés au développement des marchés libres en Europe du Nord-Ouest (spot, «hubs» gaziers)». Il en a résulté une baisse, en 2015, de 50% de moyenne des prix du gaz commercialisé vers l'UE. Ces derniers précisent qu'au 17 février dernier, «le gaz russe était vendu à 4,7 dollars le MBtu» à la frontière allemande. Ils expliquent cependant que cette réaction défensive risque de ne pas suffire pour contrer la concurrence et conseillent aux fournisseurs traditionnels de se servir de cette baisse des prix et de l'incertitude des prix futurs dans leur intérêt. Car l'incertitude pèse sur les projets d'investissements futurs. Les deux chercheurs suggèrent une réédition de la stratégie saoudienne pour le marché gazier. Ainsi et «durant une phase de transition (cinq, dix ans ?) où le marché européen ne sera pas encore totalement liquide et connecté au marché mondial, cette option stratégique consisterait pour un acteur dominant (ou un groupe de fournisseurs) à utiliser l'incertitude des prix comme levier de manœuvre». Il s'agit, en fait, d'agir en deux étapes. «Dans un premier temps, le producteur dominant accompagnerait une guerre des prix pour préserver sa part de marché et semer le doute chez les concurrents. (…) Puis viendrait un second temps, plus important, où le producteur dominant pourrait adopter (en Europe) la démarche qui est prêtée à l'Arabie Saoudite sur le marché pétrolier international, celle d'une stratégie dite «de l'incertitude», qui favorise la volatilité des cours pour profiter de celle-ci.» Les deux analystes expliquent que les fournisseurs traditionnels disposent d'un véritable avantage en termes de coûts, car disposant d'infrastructures en place et bénéficiant le plus souvent de la proximité. Concrètement et selon plusieurs simulations, aussi bien Gazprom que Sonatrach ou Statoil «pourraient commercialiser du gaz naturel au coût marginal moyen de 3,80 dollars/MBtu (frontière allemande). Si d'autres vendeurs déjà présents peuvent également survivre à cette situation, ce signal de prix — surtout s'il dure — est insupportable pour le financement des projets futurs». Un tel niveau des prix laisserait d'ailleurs planer un sérieux doute sur la rentabilité des projets futurs. Ils expliquent aussi que le coût de développement marginal, de transport et de commercialisation du GNL américain (contrat type Cheniere) se situe entre 7 et 8 dollars/MBtu. Ils expliquent enfin qu'aux conditions technologiques actuelles, des prix (frontière UE) entre 3,80 et 7,5 dollars MBtu sont acceptables pour certains fournisseurs (dont Gazprom, Statoil et Sonatrach), mais seraient dissuasifs pour de nouveaux projets de GNL (quelle que soit leur provenance).