Le ministre des Finances vient d'évoquer une refonte de la réglementation devant faciliter l'ouverture de bureaux de change. Pensez-vous que cela suffira à la multiplication des bureaux de change en Algérie ? Il existe déjà une réglementation régissant l'activité des bureaux de change qui date des années 1990. Des autorisations ont même été données à des bureaux de change. Mais l'existence d'un marché parallèle des devises et d'un taux de change sur ce marché supérieur au taux de change officiel, appliqué par les banques, ne permet pas à un bureau de change d'exister ni de fonctionner. C'est exclu ! Tant qu'il y aura ce marché parallèle, aucun bureau de change ne peut exister ni fonctionner, et ce, même si on augmente leurs commissions, même si on élargit leurs possibilités. En parallèle, si on veut modifier la réglementation, il faut d'abord élargir les possibilités des bureaux de change et faire en sorte qu'ils dépendent de banques agréées, de façon qu'ils puissent avoir un éventail d'opérations plus large. Selon vous, ce ne sont pas les bureaux de change qui permettront d'assécher la demande sur le marché parallèle. Serait-ce alors le contraire, éliminer l'informel pour créer des bureaux de change agréés ? Exactement. L'élimination du marché parallèle des changes est une action extrêmement longue et difficile et elle aurait dû être entreprise il y a très longtemps. Mais, pour diverses raisons, on le maintient et on le tolère. Selon vous, quelle est la personne qui détient des devises et qui accepterait de les céder au taux officiel à un bureau de change, alors qu'elle peut s'adresser au marché informel et réaliser une plus-value qui peut atteindre 50% ou même 80% dans certains cas ? Pensez-vous que pour assécher l'offre et la demande de devises sur le marché parallèle, il faudrait procéder à une dévaluation du dinar pour l'aligner sur les taux de l'informel ? Certains pensent qu'en procédant à une dévaluation ou à une dépréciation du dinar de manière à l'aligner sur les taux du marché parallèle, on pourrait éliminer ce marché. C'est complètement faux ! Tant qu'il existe une demande de devises supérieure à celle autorisée par le contrôle des changes, tant que celui-ci comprend des restrictions et tant que les gens n'arrivent pas à obtenir les devises dont ils ont besoin par le canal officiel, ils recourront nécessairement à des pratiques illégales et notamment au marché parallèle. Tant qu'il y aura une demande, le marché parallèle continuera à exister. Même si le taux de change du dinar s'aligne sur celui du marché parallèle, ce dernier s'adaptera et le taux de change sur le marché parallèle évoluera de sorte à être toujours supérieur au taux officiel. C'est parce qu'il y a une demande qui est là et qui n'est pas satisfaite par la réglementation actuelle. Croyez-vous que l'existence de bureaux de change va de pair avec la convertibilité totale du dinar ? L'existence de bureaux de change et leur fonctionnement implique une convertibilité totale du dinar. Et cette convertibilité est une problématique complexe qu'il n'est même plus possible d'évoquer dans les conditions actuelles. Cela aurait pu être possible dans les années antérieures, mais cela n'a pas été envisagé et encore moins entrepris. Vous avez déjà expliqué, au cours d'une conférence, que la convertibilité du dinar doit être préparée. Que faut-il faire dans ce sens ? La convertibilité totale du dinar suppose une économie qui fonctionne de manière claire et transparente, d'une part. D'autre part, surtout, ne pas continuer à dépendre d'un seul produit d'exportation. Si vous n'avez pas de sources diversifiées et suffisantes qui permettent d'avoir les devises nécessaires à la couverture des dépenses et des échanges internationaux, vous ne pouvez pas établir une convertibilité totale du dinar. Celle-ci suppose des entrées diversifiées et régulières en devises permettant de faire face aux dépenses d'importation de biens et services, et dégager des excédents pour constituer des réserves de change. C'est une équation complexe. Nous ne pouvons pas avoir de bureaux de change tant qu'il y a un marché parallèle. Il y aura un marché parallèle tant qu'il y aura une demande pour ce marché. Et il y aura une demande tant qu'il y aura des restrictions du contrôle des changes. Il y aura des restrictions des changes tant que nous dépendrons d'une seule ressource qui est le pétrole et qu'on n'aura pas diversifié les sources de revenus. Et pour diversifier nos ressources, il faut produire non seulement pour couvrir la demande interne, mais dégager des surplus à l'exportation. Tout cela est complexe et demande du temps. Nous n'avons pas réussi à le faire au cours des dernières années en situation d'aisance financière, je ne vois pas comment on le pourrait aujourd'hui, alors que nous devons faire face à une crise.