En dépit de l'évolution positive de 12% du recouvrement fiscal en 2015, les écarts régionaux sont importants dans ce domaine, tout comme les distorsions en matière de développement local. Mais aussi au même titre que les inégalités entre citoyens face au fisc. Certains versent de grandes sommes au fisc à travers l'Impôt sur le revenu global (IRG pour les salariés) notamment, alors que d'autres travaillent dans l'informel et l'illégalité et arrivent avec la complicité de l'administration à échapper aux impôts. Même constat pour les wilayas qui sont très peu nombreuses à contribuer aux recettes fiscales, au moment où des régions entières du pays ne participent qu'à travers des miettes aux recettes fiscales. Un résultat totalement en contradiction avec les richesses économiques dont regorgent ces régions. Avec 99% des recettes fiscales qui proviennent de 12 wilayas seulement sur 48 (soit le quart), comme indiqué par le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa fin mars dernier, le déséquilibre est criant en matière d'impôt. Au final, l'on se retrouve avec 36 wilayas qui ne participent qu'à hauteur de 1% au total des recettes fiscales. «Il y a des wilayas du Nord, sur la côte, qui n'apportent presque rien aux impôts», a fait remarquer le ministre à ce sujet pour rappeler que le problème du non-recouvrement des impôts se pose avec acuité aussi bien au Nord qu'au Sud du pays. Ce sont également les régions les mieux nanties économiquement et socialement qui enregistrent de faibles taux de recouvrement. Et pour cause, beaucoup d'entreprises ne paient toujours pas leurs Impôts sur le bénéfice des sociétés (IBS), alors que la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est toujours à un niveau faible. Comment expliquer de tels résultats ? «C'est un problème d'information», nous dira un responsable chargé du recouvrement des recettes d'une commune algéroise. Et d'ajouter : «Il faut bien informer les commerçants avant d'appeler au civisme fiscal». Or, relèvera t-il encore, «c'est plutôt un problème de formation. Les agents fiscaux ne sont pas à jour avec les lois et réglementations actuelles.» Défaillances En résumé, pour notre interlocuteur l'administration fiscale est défaillante. Ce que fera remarquer Aoudj Arab, expert-comptable, commissaire aux comptes et ancien membre de la Cour des comptes qui parle de «déliquescence de l'administration fiscale» faute de moyens et de formation «Le recouvrement ne dépend que de la célérité des servies concernés qui ont le droit de bloquer les comptes des contribuables pour non-paiement d'impôts», dira-t-il. Et un autre commissaire aux comptes préférant garder l'anonymat de s'interroger : «Pourquoi est-on sévère dans certaines régions alors qu'il y a relâchement dans d'autres ?» Notre expert donnera comme exemple les wilayas d'Alger, de Tizi Ouzou et de Béjaia où les recouvrements sont plus importants par rapport à d'autres. «Rien que dans ces régions et dans certaines grandes villes, l'Etat récolte 80% des recettes fiscales et dans d'autres wilayas l'on s'entête à ne pas payer d'impôt avec la complicité de l'administration fiscale», soulignera-t-il. D'autres raisons sont par ailleurs à l'origine des disparités régionales en termes de recouvrement fiscal. M. Aoudj citera dans ce cadre la dominance de l'informel, le retard dans le travail des commissions installées pour le suivi des opérations de redressement. «Les contribuables versent 20% avant le dépôt des recours. Des recours qui durent des années parce que les commissions ne se réunissent que rarement», regrette-t-il. Il y a également l'importance de la part de l'impôt à régler au niveau du secteur étatique. «Le privé triche, mais il paye. Or, l'Etat ne paye pas», notera notre expert. Aussi, les dettes détenues par le privé auprès du public retardent le règlement des impôts. «De nombreux opérateurs ont d'importantes enveloppes financières à récupérer chez l'Etat. Ils attendent toujours. Ce qui fait que leur trésorerie est étouffée et ils ne peuvent pas payer le fisc», nous expliquera M. Aoudj qui mettra par ailleurs l'accent sur les dispositifs de la loi de finances 2015, particulièrement l'Impôt forfaitaire unitaire (IFU). «Alors que les cours du pétrole ont commencé à tituber en 2012 pour sombrer de façon vertigineuse à partir de la fin de 2013, l'APN adopte une loi de finances pour 2015 avec une imposition automatique à l'IFU pour tout contribuable ayant un chiffre d'affaires n'excédant pas 30 000 000 DA», rappellera-t-il avant d'aborder «les contradictions» d'une telle décision. «Cette mesure mettant les personnes morales en porte-à-faux avec le code de commerce a surpris tous les professionnels concernés et prive le Trésor public de rentrées substantielles. Pis encore, puisque son application n'était pas immédiate, on a assisté à la création de nombreuses sociétés pour diluer le chiffre d'affaires d'une même personne morale et faire échapper une partie importante de celui-ci sur plusieurs contribuables», résumera-t-il regrettant qu'aucune modification n'est venue mettre fin à cette «aberration». «Les professionnels s'attendaient à une révision de cet IFU dans la loi de finances complémentaire 2015 ou loi de finances 2016. Rien n'a été fait et les caisses du Trésor continuent à se vider. La loi de finances 2015, au lieu d'aller chercher à recouvrer l'impôt chez ceux qui ne le paient pas, va augmenter les taux sur les bénéfices et saigner encore plus ceux qui paient», fera-t-il encore remarquer pour souligner une seconde fois l'absence d'équité en matière fiscale. Or, à ce sujet, le ministre a rappelé en mars dernier que cet impôt (IFU) est un instrument d'inclusion financière avec comme objectif l'obligation de consacrer l'égalité et l'équité fiscales entre les citoyens. Ce qui n'est pas toujours le cas. Lien étroit Ce sont, en somme, parmi les principales causes qui bloquent le recouvrement de la fiscalité ordinaire et qui retardent ainsi le développement local, deux points étroitement liés. Mais qui tardent à être pris en charge de manière effective. Ce que nous fera remarquer le professeur Kouider Boutaleb, de l'université de Tlemcen : «La question de la fiscalité et du développement locaux demeure posée à ce jour et toutes les mesures prises par les pouvoirs publics depuis longtemps déjà n'ont guère amélioré ni la perception par les autorités locales de la problématique fiscale au niveau local, ni le management et les compétences qui lui sont inhérentes», nous dira-t-il. Pour notre économiste, la question semble donc dialectiquement liée aux modalités de décentralisation effective, mais sans doute aussi et surtout à la compétence et au savoir-faire des collectivités locales «dont le sous-encadrement est révélateur d'un déficit important». Ce ne sont pourtant pas les rencontres et les recommandations qui ont manqué à ce sujet. A titre illustratif, en 2009, une démarche méthodologique avait été préconisée à l'issue d'un séminaire ayant regroupé responsables locaux et administrations fiscales pour permettre de connaître les énormes potentialités financières et gisements de ressources. Il avait ainsi été question de faire un diagnostic, d'évaluer le potentiel fiscal, de mettre sur pied un système de collecte de données performant (banque de données) et de créer un espace de dialogue entre les différents acteurs en les invitant à s'impliquer dans la gestion quotidienne des affaires communales. Or, ce n'est pas le cas. «Apparemment, une telle démarche n'est guère initiée généralement au niveau des communes. Alors que, comme nous l'avons déjà noté plus haut, nombreuses sont les communes qui recèlent des ressources réelles et potentielles inestimables qui, si elles étaient valorisées, pourraient permettre aux communes de disposer de ressources autrement plus consistantes pour répondre aux besoins de la population et accélérer le développement socio-économique de leurs territoires», nous dira à sujet le professeur Boutaleb. Révision de la démarche fiscale locale en attente Ce qu'estiment également les P/APC approchés à ce sujet. C'est le cas du maire de Dar El Beida, selon lequel beaucoup d'efforts restent à faire pour augmenter le recouvrement des recettes fiscales locales, même si dans le cas de Dar El Beida le problème des ressources ne se pose pas étant parmi les trois premières communes les plus riches au niveau national après Hassi Messaoud et Oran. «A Dar El Beida, l'adéquation entre recettes fiscales et développement local sur les plans socio-économiques est bien là puisque nous sommes passés de 2008 à aujourd'hui de la nécessité au confort. Mais il est important pour les communes de créer leurs propres richesses. Ce ne sera qu'à travers le Plan directeur d'aménagement et d'urbanisme (PDAU)». Cependant, ce dernier se fait toujours attendre au détriment d'une politique claire de développement local. Et ce, au même titre que la mise en œuvre des recommandations issues du processus de la concertation nationale autour de la définition des objectifs d'un meilleur développement local mené par le Conseil national économique et social. Il avait, pour rappel, été suggéré de revoir la démarche fiscale pour mieux l'arrimer aux principes de justice, d'égalité, de citoyenneté, de transparence, de stabilité et de solidarité d'adopter un système fiscal local flexible permettant aux communes, selon leur niveau de développement économique, de voter librement les taux de certaines taxes directes composant le budget communal et d'autoriser les communes à fixer l'assiette et le taux des impositions de toutes natures sur les ressources financières formant leur budget. De même qu'il était question de permettre aux communes la révision des valeurs locatives cadastrales servant de base à la détermination des taxes foncières sur les propriétés et de mettre fin au manque à gagner considérable pour les communes du fait de l'exonération du payement des taxes foncières dont bénéficie une très large partie de la population de contribuables pourtant potentiellement générateurs de ces ressources (immeubles publics de l'Etat, des wilayas, des communes, les établissements publics et autres édifices publics). «Il faut revoir par exemple les coûts des locations. Le social et le populisme doivent prendre fin», plaidera d'ailleurs à ce sujet le maire de Dar El Beida. Cela pour dire que la richesse d'un pays se résume par la richesse des communes et surtout par leur capacité à générer leurs propres ressources. Mais quand la majorité de ces localités dépendent des subventions étatiques, difficile d'assurer les bases d'une telle chaîne et par ricochet d'augmenter les recettes fiscales du pays.