Mercredi, un bus faisant la liaison entre deux quartiers de différentes communautés a été attaqué à coups de cocktails Molotov. Si aucune violence n'a été signalée après l'attaque, les habitants craignent la reprise des affrontements qu'a connus la région l'été dernier. «Acte lâche et criminel», c'est en ces termes que le wali de Ghardaïa, Azzedine Mechri, a qualifié l'agression, mercredi vers 14h30, d'un bus de l'entreprise publique de transport urbain reliant la commune de Ghardaïa à celle de Dhaïa Ben Dahoua, à une dizaine de km de là. Le bus a été attaqué à coups de cocktails Molotov et de pierres par des individus portant, selon des témoins et occupants du bus, des masques. L'attaque s'est déroulée en plein virage très incliné, entre Akhelkhal et Touzzouz, dans l'oasis nord appelée communément El Ghaba, sur les bords d'un profond précipice sur le côté droit de la route, ce qui a failli précipiter le bus dans le ravin après que le chauffeur ait été atteint par les flammes. Treize blessés, en majorité atteints de brûlures, dont 4 ressortissants subsahariens, ont été dans un premier temps évacués vers la polyclinique de Dhaïa Ben Dahoua, où ils ont reçu les premiers soins, avant d'être réévacués vers l'hôpital Dr Brahim Tirichine de Sidi Abbarz. Très rapidement, des centaines d'éléments des Compagnies républicaines de sécurité (CRS), appuyés par des éléments des autres services de la sûreté de wilaya de Ghardaïa, tels l'Identité judiciaire, la BRI, la BMPJ et les RG, ont bouclé la zone à la recherche des agresseurs, cinq, selon des témoins oculaires. Mobilisation Le wali, Azzedine Mechri, accompagné du procureur général de la République, Mohamed Bensalem, et du colonel Abderrazak Mâameri, chef du secteur opérationnel de Ghardaïa, se sont immédiatement rendus sur les lieux de l'agression où ils ont rejoint sur place le commissaire divisionnaire Yahia Bousselah, chef de la sûreté de wilaya de Ghardaïa, qui dirigeait les opérations de recherche, d'identification et de perquisition. Des centaines d'habitants de Dhaïa Ben Dahoua ont essayé de se rendre dans la zone de l'agression. Ils ont été stoppés par les services de sécurité qui se sont interposés et par les sages qui leur ont demandé de ne pas tomber dans le piège de la provocation. «Il ne faut pas tomber dans ce piège, c'est justement ce que cherchent ces criminels. Ils veulent nous opposer les uns aux autres et voir de nouveau le sang des innocents couler. Personne n'a le droit de se faire justice soi-même. C'est à l'Etat de punir ces criminels. Il y a une justice dans ce pays, laissons la faire son travail», ont insisté les sages qui ont réussi, avec les services de sécurité, à convaincre la population de Dhaïa Ben Dahoua à surseoir à son désir de vengeance. «Qui a intérêt à rallumer la mèche ?» se demande Réda, un cadre financier. Son accompagnateur, Mustapha, sociologue, ajoute : «Il faut faire attention à la stigmatisation et ne surtout pas accuser une partie ou une autre. Je suis persuadé que personne dans cette région ne veut revivre ce que nous avons enduré.» Pour Azzedine Mechri, le wali de Ghardaïa, «ceux qui ont commis cet acte un 20 Avril, qui est une date symbole du combat identitaire amazigh, se trompent. Ils n'ont rien à voir avec ce combat qui a été mené pacifiquement depuis 1980 par des hommes et des femmes. e ne sont que des criminels et ils seront jugés en tant que tels.» Pour le président de l'APW de Ghardaïa, Omar Daddi Addoune, «cet acte prouve que certains ne sont pas contents de la situation de paix, de sécurité et de sérénité qui prévaut à Ghardaïa». En fin de journée d'hier, plusieurs associations, assemblées et personnalités de la société civile se sont rendues au siège de la wilaya. Selon un habitant, la ville est restée calme. Conflit Les motifs de l'attaque sont pour le moment inconnus. Hamou Mesbah, représentant local du FFS, pense à une «manipulation» : «L'attaque s'est passée vers 14h30, une heure creuse où les gens font la sieste. Il y a quelque chose qui ne va pas dans ce scénario. A mon avis, l'attaque avait pour but d'empêcher la célébration du 20 Avril, pour donner une mauvaise image du Printemps berbère.» Un conflit entre compagnies de bus publiques et transporteurs de voyageurs privés est également évoqué par un habitant : «Entre Daïa et Ghardaïa, les compagnies de bus privées doivent faire un détour de 20 kilomètres. Trois jours avant l'attaque, les privés avaient barré la route à Daïa et empêchaient les bus publics de passer.» L'utilisation de motos, de pierres et de cocktails Molotov pour l'attaque fait ressurgir les souvenirs des violences de l'été dernier. Au mois de juillet 2015, les affrontements avaient fait 23 morts en moins de trois jours. Le président Abdelaziz Bouteflika avait convoqué une réunion d'urgence et chargé l'armée de superviser les opérations de maintien de l'ordre dans la wilaya. Pourtant, depuis plusieurs mois, la ville avait repris une vie normale. Il y a quelques jours, la 48e Fête du tapis s'est passée dans le calme. «Et depuis le mois de décembre, des touristes reviennent», ajoute Rostom, un jeune guide qui a accompagné, la semaine dernière, un groupe d'Anglais. Les traces des affrontements de l'été dernier sont pourtant toujours visibles. «Les forces de l'ordre sont présentes partout et ceux qui ont vu leurs magasins incendiés n'ont pas tous repris le travail», explique Hamou Mesbah. Les esprits ne sont pas tranquilles non plus. «On sent une volonté de quelques uns de relancer des affrontements», s'inquiète un observateur.